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qu’on prisât moins alors les qualités du style, aujourd’hui si estimées, soit qu’on pardonnât à la foiblesse de celui du traducteur, en faveur du soin qu’il avoit pris de faire connoître un ouvrage composé dans une langue presque généralement ignorée en France à cette époque ; il est certain que cette traduction du discours sur la liberté de penser eut un grand succès : mais malgré les éloges que quelques incrédules ont prodigué à cet écrit, sans doute par un effet de cette indulgence irréfléchie qu’on a pour un ouvrage dans lequel on retrouve ses sentimens secrets, je ne dissimulerai qu’il me paroît fort au-dessous de sa réputation, & qu’il n’ajoute rien à celle de Collins. On n’y remarque point cette logique exacte & sévère, & cet esprit d’analyse & d’observation qui sont les caractères distinctifs de ses recherches philosophiques sur la liberté des actions humaines & de son essai sur la nature & la destination de l’ame. En général, le plan de ce traité me paroît mal conçu ; l’exécution en est foible & manque d’une certaine dignité. Collins s’étoit élevé par le travail & la méditation au-dessus des préjugés religieux dont l’empire est si étendu, & l’influence si funeste : il les comptoit même parmi les fléaux les plus destructeurs de l’espèce humaine. Pour tarir enfin cette source de tant de maux, & rendre à la raison trop long-tems enchaînée toute sa force & son énergie, il falloit frapper sans bruit & d’un coup bien assuré les fondemens ruineux de la croyance des chrétiens, rendre les prêtres odieux, mais sur-tout ridicules, car le prêtre dont on se moque est bientôt avili, & cesse alors d’être dangereux. Collins à qui l’étude de la théologie considérée dans toutes ses parties, ne paroissoit propre qu’à corrompre, à fausser le jugement de ceux qui s’y livrent, & à leur faire perdre le goût & la trace de la vérité, avoit passé rapidement du mépris de cette science au mépris de ceux qui l’enseignent. Ces opinions dans lesquelles certains lecteurs dédaigneux, ne verront peut-être que les premiers pas d’une raison un peu cultivée, n’étoient pas alors fort répandues ; & s’il ne falloit pas un grand effort de tête pour découvrir des vérités de cet ordre, il y avoit au moins du courage à les rendre publiques, sur-tout à l’époque où notre philosophe écrivoit ; car c’est toujours ce qu’il faut considérer dans le jugement que l’on porte d’un ouvrage,[1] & de l’espace qu’un auteur a franchi. D’ailleurs, Collins n’avoit pas borné sa carrière philosophique à mépriser secrettement le prêtre, & à regarder du même œil ce recueil indigeste de dogmes absurdes, inintelligibles & contraires aux notions communes, de maximes fausses, incohérentes, exagérées qui forme ce qu’on appelle la religion, dans les écoles de théologie. Il avoit été beaucoup plus loin ; & de ces principes si simples, si élémentaires, de cette vue générale portée sur l’esprit du clergé, & sur les crimes de toute espèce dont les opinions religieuses ont couvert la terre, il avoit tiré cette conséquence très-importante & dont l’énoncé ne peut blesser que des têtes étroites : c’est que le pouvoir des prêtres étant fondé par-tout sur la religion qu’ils prêchent par intérêt, par fanatisme ou par conviction, c’est-à-dire, comme dupes ou comme fripons, le moyen le plus sûr d’affoiblir, de détruire même ce pouvoir, souvent si redoutable, étoit d’en renverser toutes les bases, conformément à cet ancien axiome : sublatâ causà, tollitur effectus. L’expérience & l’observation lui avoient sans doute appris que la superstition est une plante parasite & vivace qu’on rencontre par-tout à des profondeurs inégales, & qu’on ne parvient point à détruire, si l’on n’en arrache à-la-fois toutes les racines.[2] C’est à ce résultat, qui certes, n’est pas celui d’un petit esprit, que nous devons les meilleurs ouvrages de Collins, & particulièrement ceux qui ont fait le sujet de cet article. Quand on les a lus avec attention, & qu’on en a bien vu la tendance, on ne conçoit pas ce qui a pu le déterminer à publier le discours sur la liberté de penser, dans lequel il discute très-gravement plusieurs points de critique & d’érudition dont la solution ne doit point faire partie des recherches d’un philosophe, & sur lesquels ceux qui les croyent fort importans peuvent écrire, de part & d’autre, de gros volumes, sans que le fond du procès en soit mieux éclairci.


En effet, quand il seroit vrai que nous avons aujourd’hui le texte de l’ancien & du nouveau testament dans toute sa pureté originelle & primitive ; quand tous les livres compris dans le canon des écritures seroient véritablement des auteurs dont ils portent les noms ; quand on pourroit prouver que l’église chrétienne a constamment admis dans ce canon les mêmes ouvrages qu’on y trouve aujourd’hui, & constamment rejetté, comme apocryphes, ceux qui en sont exclus, on ne seroit pas en droit d’en conclure, que ces livres apocalyptiques, remplis d’oracles & de faits miraculeux presque aussi certains que ceux qui sont rapportés dans les actes des saints de Bollandus, ont été divinement inspirés. Il semble, d’ailleurs, qu’après avoir attaqué les principaux dogmes du christianisme, & porté jusqu’à l’évidence la fausseté & le paralogisme des preuves sur lesquelles on établit communément la liberté de l’homme, la spiritualité

  1. Voyez à ce sujet les réflexions préliminaires qui servent d’introduction à l’article Condillac (philosophie de).
  2. Conférez ici ce que j’ai dit dans une adresse à l’assemblée nationale, sur la liberté des opinions, sur celle de la presse, imprimé au mois de janvier 1790. Voyez les pages 38, 39 & 48 de cet écrit.