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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/261

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& l’immortalité de l’ame, il étoit assez inutile de faire naître des doutes sur l’authenticité, l’autorité & le sens des écritures. Quelle importance toutes ces questions qui ne devroient s’agiter que dans des écoles de théologie, peuvent-elles avoir pour celui qui n’admet ni la liberté de l’homme, ni la distinction aussi chimérique des deux substances, & qui connoît les dépendances inévitables de ces premiers principes de toute bonne philosophie ? Des livres où l’on parle sérieusement de morts ressuscités, de revenans, de démons chassés du corps des possédés par l’efficace de certains mots, d’un dieu transporté par le diable sur une haute montagne, & où l’on rapporte cent autres contes aussi absurdes, ne sont-ils pas assez solidement réfutés par l’impossibilité pure & simple des faits qu’ils contiennent ?

En se renfermant strictement dans les limites de son sujet, ainsi que l’exigeoient l’ordre & la clarté des idées, Collins auroit écarté toutes ces discussions qui seroient mieux placées dans les prolégomènes d’un commentaire sur la bible, que dans un discours sur la liberté de penser. Il y a d’ailleurs dans cet ouvrage un autre défaut très-sensible, & qui lui ôte sur-tout ce caractère grave & sévère qu’un philosophe, jaloux de mériter le suffrage des lecteurs instruits, doit imprimer à tous ses écrits ; c’est le genre de preuves que Collins a cru devoir employer : il avoit procédé jusqu’alors dans la recherche de la vérité par une méthode d’autant meilleure, qu’en éclairant successivement les différentes parties d’un objet, elle le fait voir tout entier & dans tous ses rapports. À peine remarque-t-on dans son Discours sur la liberté de penser quelques traces de cette excellente méthode : il s’y laisse si fort aller sur les bras d’autrui, pour me servir de l’expression de Montaigne, qu’il anéantit ses forces, & n’y montre guères qu’une suffisance relative & mendiée. Il semble avoir oublié que c’est également un mauvais moyen d’attaque & de défense que de prouver par des autorités ce qu’on peut établir solidement par une bonne argumentation, sur-tout quand un examen rigoureux de la valeur ces autorités & de celles qu’on peut leur opposer, n’en a pas précédé & déterminé le choix[1]. Horace a dit quelque part :

Nil agit exemplum litem quod lite resolvit.


C’est ce qu’on pourroit inscrire sur tous les livres dont les auteurs se jettent réciproquement à la tête une multitude de passages, & où celui qui en ramasse le plus, croit sa victoire assurée & complette. S’appuyer rarement sur la raison des autres, faire beaucoup d’usage de la sienne, observer souvent, calculer quelquefois, voilà une partie des devoirs du philosophe. Les seules armes dont il lui soit permis de se servir, sont celles de la dialectique. En effet, le raisonnement est un instrument qui s’applique à tout avec succès : c’est lui qu’on peut appeller, par excellence, l’organe universel des sciences & des arts, generale scientiarum & artium organum, & sans lequel on ne perfectionne ni les unes ni les autres. Rien n’est plus illusoire que de juger de la bonté d’une cause par le nombre des avocats qui la défendent. Il faut laisser cette fausse mesure de la vérité & de l’évidence à ces savanteaux que Montaigne appelle dans son vulgaire périgordin lettres férits, & qui doués particulièrement de la mémoire des mots, munis d’une grande lecture, & entourés de leurs recueils, sont à-peu-près sûrs de prouver tout ce qu’ils veulent, en matières de faits anciens, espèce de dépôt, où, comme dans les livres des juifs & des chrétiens, on trouve des autorités pour & contre la plupart des opinions qu’on veut défendre & propager.

          (Cet article est de M. Naigeon).



Fin du Tome premier.
  1. Voyez ce que nous avons dit au commencement de cet article, des cas où il est permis d’employer la voie de l’autorité pour confirmer une vérité, ou pour détruire une erreur. On peut consulter aussi sur le même sujet l’article Académiciens, pag. 35, colon. prem.