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& de l’autre, de se conformer aussi à la religion des aborigines, en offrant des victimes humaines aux dieux du pays, qu’il suppose être[1] Pluton & Saturne son père. Mais on voit encore mieux dans cet oracle l’ignorance de l’imposteur qui l’avoit forgé. C’est un Grec, qui ayant ouï dire que les Aborigines offroient des victimes humaines au père Dis, (Diti Patri), s’imagina que c’étoient deux divinités différentes. Il crut que Dis, étoit l’Adès des Grecs, & Pater, Saturne son père. Pour revenir à Denis d’Halicarnasse, il est dans l’opinion que Saturne étoit adoré par les anciens habitans de l’Italie, & même par tous les peuples Celtes.[2].

« Avant, dit-il, qu’Hercule eut passé en Italie, la colline sur laquelle on a bâti le capitole, étoit consacrée à Saturne, & portoit son nom. Toute la contrée aussi, qu’on appelle aujourd’hui Italie, étoit consacrée au même Dieu. Les gens du pays la nommoient Saturnie. C’est ce que l’on peut voir dans quelques poëmes des sybiles, & dans d’autres oracles où ce nom se trouve. Il y a plusieurs lieux qui portent encore aujourd’hui le nom de Saturne, & surtout les rochers & les hautes collines. On prétend aussi que les anciens habitans de l’Italie avoient accoutumé d’offrir des victimes humaines à Saturne, comme la chose se pratiquoit à Carthage, tant que cette ville a subsisté, & comme elle se pratique encore aujourd’hui dans les Gaules, & parmi quelques autres peuples de l’occident. Hercule, voulant abolir ces sacrifices, bâtit un autel sur la colline de Saturne, & apprit aux gens du pays à y offrir par le feu des victimes permises. Cependant, pour arracher de leur esprit tout scrupule, & pour empêcher qu’ils ne se reprochassent de négliger les cérémonies, il jugea à propos de conserver une image de cette superstition, en ordonnant que pour appaiser le courroux de saturne, on jetteroit à l’avenir dans le tibre trente hommes de paille, au lieu de trente vieillards, qu’on y avoit précipités jusqu’alors pieds & poings liés. Les Romains conservent encore aujourd’hui cette cérémonie, & la célèbrent peu après l’équinoxe du printems, aux Ides de mai, où la lune, parvenue, comme ils le disent, à la moitié de sa grandeur, partage le mois en deux parties à peu-près égales. Ce jour là, les pontifes, les vestales, les préteurs, & les autres bourgeois, qui ont le droit d’assister à la cérémonie, après avoir offert des sacrifices selon la coutume, se rendent sur un pont sacré, d’où l’on précipite dans le tibre trente hommes de paille, que l’on appelle[3] Argeos ».

Il n’est pas nécessaire d’avertir que ce Saturne est le père Dis, (Ditis Pater) des Aborigines.

J’ai montré, dans l’un des paragraphes précédents, que c’est à ce Dis que les anciens habitans du territoire de Rome offroient tous les ans trente vieillards. C’est au même Dis, que les rochers & les collines étoient consacrés, parce que les Aborigines, comme les autres peuples Scythes & Celtes, choisissoient ordinairement des lieux élevés pour y tenir leurs assemblées religieuses. Ainsi Servius remarque[4] que l’on of-

  1. καὶ κεφαλὰς Κρονίδῃ καὶ τῷ πατρὶ πέμπετε φῶτα. Dionys. Hal. ub. sup.
  2. Sed quantum ego conjecturis comperio, vel antequam Hercules in Italiam veniret, hic locus Saturno facer erat, & ab ipsis incolus Saturnius vocabatur. Quin etiam tota reliqua ora, quæ nunc Italia vocatur, huic deo erat sacra, & ab incolis Saturnia vocabatur ; quod facile reperias tam in quibusdam carminibus Sybillinis, quamin aliis oraculis quæ dii reddiderunt, in quibus hoc declaratum… Multa etiam loca hujus dei nomen habent, & præcipüe Scopuli & Colles excelsi. Dionys. Halic. lib. 1. cap. 4. p. 27.

    Aiunt etiam priscos illos homines Saturno victimas humanas immolare solitos fuisse, quemadmodum Carthagine fiebat, quamdiu ea urbs stetit, quemadmodum etiam nunc fit apud Gallos, & nonnullas alias occidentales gentes Herculum vero, cum istum sacrorum morem aboiere vellet, & Aram fundasse in Saturnio colle, & autorem fuisse, ut hostiæ sanctæ puris ignibus adolerentur. Ut autem nihil in hominum animis remaneret, quod eos turbaret, quasi patria sacra neglexissent, illius regionis incolas docuisse, ad iram hujus dei placandam, pro hominibus quos pedibus manibusque vinctos in Tiberis profluentem jaciebant, simulacræ ad humanæ figuræ similitudinem efficia, & eodem quo homines ornatu, in fluvium projicere, ut quicquid religionis in omnium animis unquam resedisset, revelleretur, quod prisci ritus imago servaretur. Hoc autem usque ad meam ætatem Romani constanter faciebant, paulo post vernum æquiroctium, mensis maii idibus ut vocatur, quo die lunam semiplenam esse, mensemque in duas partes fere æquales divisum dicunt. Hoc die illi qui pontifices vocantur, qui summum inter sacerdotes locum tenent, & cum illis virgines quæ perpetuum ignem servant, & prætores, ceterique cives, quos sacris interesse fas erat, sacrificio rite peracto, simulacra ad humanæ formæ similitudinem facta, numero triginta, de sacro ponte, in Tiberis profluentem jaciunt, quæ Argeos appellant. Dionys. Halic. ibid. p. 30.

  3. La fête aussi portoit le nom d’Argei. Multa alia sacrificia, locaque sacris faciendis, quæ Argeos pontifices vocant, dedicavit. Livius,
  4. Soractis mons est Hirpinorum, in Flaminia collocatus. In hoc autem monte cum aliquando Diti patri