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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/69

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paysans s’assembloient tous les ans auprès de ce lac. Ils lui offroient une espèce de libation, jettant dans l’eau, les uns des pièces de toile, ou de drap, les autres des toisons. Le plus grand nombre y jettoit outre cela, des formes de fromage, ou de cire, ou des pains tout entiers, & différentes autres choses, chacun selon ses facultés. Ils y venoient avec leurs chariots, sur lesquels ils apportoient de la boisson & des vivres ; & après avoir immolé des animaux, ils faisoient bonne chère pendant trois jours. Le quatrième jour, lorsqu’ils étoient sur le point de s’en retourner, il survenoit un orage accompagné de tonnerre & d’éclairs ; il tomboit en même tems une pluie si abondante, & une si grande quantité de pierres, que tous ceux qui étoient venus à la fête craignoient d’y périr, Cela arrivoit régulièrement tous les ans. Long-tems après, un prêtre de la ville, s’étant transporté sur les lieux avec l’évêque, bâtir à quelque distance du lac une église à l’honneur de dieu, sous l’invocation de saint Hilaire de Poitiers. Alors les habitans de la contrée, touchés de componction, se convertirent, & depuis ce tems-là, l’orage fut détourné de l’endroit.

Le lecteur jugera comme il le voudra du double miracle rapporté dans ces paroles. Je crois le premier supposé, & par cela même le second devient inutile. Comment étoit-il possible que les habitans de toute une contrée vinssent faire, d’année en année leurs dévotions auprès d’un lac, qu’ils lui offrissent des présens de toute espèce, & qu’ils célébrassent une fête si solemnelle à l’honneur de la divinité qui y résidoit, s’ils avoient été convaincus par une longue expérience qu’ils n’emporteroient avec eux pour toute bénédiction que des tonnerres, des éclairs, & sur-tout une grêle de pierres, dont ils risqueroient d’être assommés ? Tout ce que je souhaite qu’on remarque ici, c’est, 1°. que les gaulois établis dans le Gévaudan rendoient un culte religieux à l’eau, & qu’ils se rendoient tous les ans, avec leurs familles, à une fête solemnelle que l’on célébroit pendant trois jours à l’honneur d’un lac.

2°. Ils immoloient des victimes pendant la fête.

3°. Chacun jettoit dans le lac, à proportion de ses facultés, de la toile, du drap, de la laine, du fromage, de la cire, du pain, & des autres choses semblables, afin que la divinité bénit la masse entière des biens dont on lui offroit les prémices.

4°. Cet abus subsista dans les Gaules, non-seulement après que le christianisme y eut été établi, mais encore depuis qu’un grand nombre d’églises eurent choisi St. Hilaire de Poitiers pour leur patron.

Les francs aussi ont pratiqué un semblable culte après avoir reçu la religion chrétienne. On voit dans Procope, que les francs, qui avoient passé en Italie sous la conduite du roi Theudibert, s’étant rendus maîtres d’un pont sur lequel on passoit le Pô à Pavie, [1] immolerent les femmes & les enfans des Goths qu’ils y trouvèrent, & jetèrent leurs corps dans le fleuve auquel ils les offroient, comme les premices de la guerre. Ces barbares, ajoute Procope, bien qu’ils ayent embrassé le christianisme, ne laissent pas d’observer plusieurs cérémonies de leur ancienne religion ; immolant des victimes humaines, avec d’autres abominations ; & se montrant d’ailleurs fort attachés aux divinations. On peut conclure naturellement de-là que le culte de l’eau étoit l’une des parties les plus essentielles de la religion des Celtes ; les superstitions les plus chéries sont ordinairement celles qui se maintiennent le plus long-tems. Effectivement ce culte étoit établi de toute ancienneté en Occident. Les habitans de l’Islande offroient des sacrifices de toute espèce aux génies qui résident dans les fontaines, & dans les eaux courantes. Les illyriens avoient [2] une fête annuelle dans laquelle ils noyoient un cheval avec certaines cérémonies. Les thessaliens vénéroient le pénée, & quand ils contractoient des alliances ; la cérémonie s’en faisoit sur un (3) pont sur lequel on immoloit les victimes dont on faisoit découler le sang dans le fleuve. On voit dans Horace,[1] que les romains offroient


(1) At Franci, ponte occupato, quos ibi invenere Gothorum liberos & uxores immolarunt, eorumque corpora in fluvium, tanquam belli primitias, proiecerunt, Barbari enim isti Christiani effecti, multos priscæ supertitionis ritus observant, humanas hostias, & ala nefanda immolantes, & divinationibus dediti, Procop. Gotth. L. 2. cap. 25. p. 448

(2) Illyricos quotannis, ritu sacrorum, equum solere aquis immergere. Servius ad Georg. 1. vf. i3. Pag. 6

(3) Iphicrates in Thessalia, & Jason Tyrannus, prope fluvium fœdus componere cum vellent, ... & juramentum per victimas esset sancrendum, Iphicrates in pontem ascendit, Jason vero pecudem absenti pastori ereptam, in fluvium immolare cœpit. Polyæn. Stratag. L. 3. cap. 9. not. 40.

  1. O Fons Bandusiæ splendidior vitro,
    Dulci digne mero, non sine floribus,
    Cras donaberis hœdo,
    .  .  .  .  .  .
    .  .  .  .  .  .
    frustra: nam gelidos inficiet tibi,
    Rubro sanguine rivos,
    Lascivi soboles gregis. Horatius Carmin. L. 3. Ode 13.