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qu’une anguille fatiguée & miſe sur terre, imprimoit des commotions d’autant plus violentes, qu’elle ſéchoit plus, quoiqu’elle ne fit preſque plus de mouvement ; remiſe enſuite dans l’eau, les commotions ne ſe firent plus ſentir. Après l’avoir replacée ſur terre, elles furent encore bien moindres, juſqu’à ce qu’elle fut ſèche dans cet état, les commotions ne ſe font preſque plus ſentir, lorſqu’on touche l’animal ſur le dos ou au milieu du corps, & elles ſont très actives, dès qu’on touche ſur la tête ou à l’extrémité de la queue. Une ſonde d’argent placée dans l’intérieure de la bouche & enfoncée juſques dans l’intérieure du ventre n’a donné aucun indice d’électricité.

Dans un temps où l’anguille paroiſſoit preſque morte, M. Bajon prit un gros chat extrêmement vorace, & l’approcha de la peau de l’anguille fort ſèche ; à peine l’eut-il aperçu, qu’il s’élança deſſus avec précipitation pour en faire ſa proie ; mais dans l’inſtant qu’il la toucha, il en reçut une commotion ſi terrible, qu’il fit un grand ſault en arrière, & ſe releva en faiſant des cris affreux. On tenta vainement de le ramener vers l’anguille ; il miauloit de toutes ſes forces, & fuyoit dès qu’il l’apercevoit. Un gros chien fut enſuite approché, & ſuivant la coutume ordinaire de ces animaux, il commença par flairer, & voulut enſuite lécher l’anguille ; mais dès que ſa langue la toucha, il fit un cri horrible & prit la fuite. Préſenté de nouveau quelque temps après, il exprimoit par ſes cris redoublés, en ſe débattant avec force, le ſouvenir de la ſenſation douloureuſe qu’il avoit reſſentie.

Cette même anguille reſta plus de trois heures avant de perdre entièrement la vie, & les commotions eurent lieu juſqu’au dernier inſtant, quoique la peau fût toute ridée. Dans ce dernier temps, aucune partie de son corps ne paroiſſoit avoir du mouvement, ſinon celui qu’on obſervoit vers la région du cœur, qui étoit produit par des contractions de ce viſcère. Si on la preſſoit dans cet état, on reſſentoit quelque légère ſecouſſe ; mais ſi on la prenoit par la tête ou par la queue, on en recevoit encore d’aſſez-fortes, qui eurent lieu juſqu’à ce que le mouvement du cœur fût entièrement éteint. M. Bajon n’a pu tirer des étincelles par aucun procédé, ni produire des attractions & des répulſions de corps légers.

M. Bajon aſſure que l’or, l’argent & le cuivre ſont les ſubſtances où le fluide électrique de l’anguille ſemble ſe mouvoir avec le plus de facilité, enſuite l’étain d’Angleterre, enfin l’étain pur & le plomb ; & que par rapport au fer, les commotions ſe communiquent plus aiſément & plus fortement, lorſque le fer eſt légèrement rouillé que lorſqu’il eſt poli : mais nous croyons que ces expériences ont beſoin d’être répétées pour ſavoir ſi le réſultat ; eſt bien conſtant ; car comme les commotions données par l’animal, ne ſont pas toujours au même degré de force, & qu’il n’y a pas de moyen de le connoître, on peut avoir attribué à la nature des métaux une diminution d’effet qui dépendoit de la cauſe productive. On doit en dire de même de quelques autres faits particuliers qui paroiſſent ne pas ſe concilier facilement avec les principes d’électricité. M. Bajon a encore obſervé que la commotion ne ſe communique point par le moyen de l’eau ni de l’air, que cet animal expire, ainſi M. Van-der-Lot a dû ſe tromper dans ces deux circonſtances.

M. Bajon à la ſuite de ces expériences, donne une deſcription détaillée de cet anguille qui appartient plus à l’hiſtoire naturelle, qu’à la phyſique. Il ſuffit de dire ici que cette anguille a un rapport direct avec les anguilles ordinaires, avec cette différence, que ſa tête eſt plus groſſe & plus ronde. On en a vu de cinq pieds de longueur & de la groſſeur de la cuiſſe. Sa couleur eſt communément d’un noir d’ardoiſe, excepté ſous le ventre & la tête qui ſont d’un rouge pâle. On remarque ſur tout le corps de cet animal une infinité de petits points jaunâtres qui ſont autant d’ouvertures qui traverſent la ſubſtance de la peau ſeulement.

M. Richer a vu à Cayenne une anguille de trois ou quatre pieds de long, groſſe comme la jambe, & ſemblable au Congre, qui étant touché, non-ſeulement avec le doigt, mais encore avec l’extrémité d’un bâton, engourdit tellement le bras & la partie du corps qui en eſt la plus proche, que l’on demeure environ un demi-quart d’heure, ſans pouvoir le remuer, & cauſe même un éblouiſſement qui feroit tomber, ſi l’on ne prévenoit la chute en ſe couchant par terre ; après quoi on revient au même état qu’auparavant. J’ai été témoin de cet effet, dit M. Richer, & je l’ai senti, ayant touché ce poiſſon avec le doigt, un jour que je rencontrai des ſauvages qui en avoient un encore vivant ; ils l’avoient bleſſé d’un coup de flèche, & tiré de l’eau avec la flèche même. Anciens Mém. de l’académie des ſciences, année 1677. Art. VI. Or cette anguille eſt certainement l’anguille électrique.

M. Bancroft, dans ſon hiſtoire naturelle de la Guianne, s’explique ainſi ſur l’anguille-torpille.

« Ce poiſſon eſt d’eau douce ; on le trouve plus communément dans la rivière Eſſequebo. Il a ordinairement trois pieds de longueur & douze pouces de circonférence vers son milieu. Sa peau est unie, ſa couleur d’un bleu plombé, ſemblable à celle du plomb en feuille, qui aura été exposé à l’air ; il n’a nulle part des écailles. Sa tête égale en groſſeur la partie la plus groſſe de ſon corps ; celle-ci eſt un peu applatie deſſus & deſſous ; la ſurface ſupérieure eſt percée de pluſieurs trous, comme ceux des lamproies ; ses mâchoires ſupérieures & inférieures s’étendent à une égale diſtance, & ſe terminent en forme de demi-cercle ; la bouche eſt très-grande & ſans dents, &c. » Ce poiſſon reſpire