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fréquemment & lève ſa tête toutes les quatre ou cinq minutes au-deſſus de l’eau ; mais ſa propriété la plus curieuſe, ajoute Bancroft, eſt que lorſqu’on le touche avec la main nue, ou avec une verge de fer, d’or, d’argent, de cuivre, ou avec un bâton, de quelques bois particuliers & peſans d’Amérique, il donne un choc parfaitement ſemblable à celui des corps électriques, & ce choc eſt communément ſi violent, que peu de gens veulent recommencer.

Voici les particularités qu’il a remarquées. 1o. Cette anguille priſe par un hameçon, fait éprouver un choc violent à la personne qui tient la ligne. 2o. La même anguille touchée avec une verge de fer, tenue d’une main par une perſonne qui tient de l’autre une autre perſonne, &c. communique à dix ou douze perſonnes, qui forment une chaîne non interrompue, une commotion ſemblable à celle d’une machine électrique. 3o. Une perſonne tenant ſon doigt dans l’eau, à la diſtance de huit ou dix pieds du poiſſon, reçoit un choc violent, dans l’inſtant même qu’une autre perſonne touche le poiſſon. 4o. Cette anguille, lorſqu’elle eſt en fureur, & lorſqu’elle lève ſa tête au-deſſus de ſi la main d’une perſonne ſe trouve à cinq ou ſix pouces de diſtance, elle lui fait éprouver aſſez ſouvent, un choc inattendu, ſans être touché immédiatement. 5o. On ne ſent aucun choc en tenant la main près du poiſſon dans l’eau lorſqu’il n’eſt ni en colère, ni touché ; mais le choc eſt d’autant plus violent, que le poiſſon eſt plus en fureur.

On prend ces poiſſons, lorſqu’ils ſont petits ; on les conſerve dans de grands bacquets qu’on remplit d’eau. On les nourrit ordinairement avec de petits poiſſons ; lorſqu’on n’en trouve point, on leur donne des vers de terre. Les Indiens mangent ce poiſſon lorſqu’il eſt mort. De ſa peau ſort une ſubſtance collante, qui oblige de changer l’eau du baquet tous les jours ou au moins tous les deux jours. Après quoi on nettoie le baquet. Dans ces occaſions, le poiſſon reſte ſans mouvement & ſans eau pendant pluſieurs heures ; mais ſi on le touche en cet état, le choc n’eſt pas moins violent qu’à l’ordinaire.

M. Godefroi Wilhs Schilling ayant fait pluſieurs expériences au mois de juillet 1764, avec des anguilles de Surinam, & les ayant miſes dans des baquets aſſez grands pour qu’elles y puſſent nager commodément, reſſentit, ainſi que pluſieurs autres perſonnes de fortes commotions. Il a cru que des aimans naturels ou artificiels, approchés de cet animal, l’attiroient ; que ce poiſſon s’agitoit de différentes manières, & qu’enfin il finit par s’attacher à l’aimant comme le fer ; qu’il ne s’en ſépare qu’à regret ; que dans le cas de ſéparation ſpontanée ou forcée, on peut le toucher pendant quelque temps ſans éprouver de commotion, mais qu’enſuite il reprend ſa première vigueur. Il a cru encore qu’en jetant de la limaille de fer dans l’eau, où eſt un de ces gymnotus, il recouvre bientôt ſa vertu, ſi elle étoit perdue ou affoiblie, &c. ces expériences ſont trop ſingulières pour être admiſes ; & perſonne n’a réuſſi à en voir les effets, quoiqu’on les ait répétées. Si au bout d’un temps conſidérable, on remarque quelqu’effet de ce genre, il dépend d’autres cauſes. L’agitation du poiſſon peut venir de ce qu’étant dans un lieu extraordinaire pour lui, appercevant des perſonnes qu’il n’eſt pas accoutumé de voir, il éprouve naturellement des craintes. La prétendue attraction de ce poiſſon, & ſon union avec la pierre, réſulte de ce que, dans une infinité de mouvemens, il s’approche de la pierre, & s’il s’y attache, c’eſt que paſſant près de la pierre & la touchant, il y aura une adhérence entre deux ſurfaces polies, & que le gluten viſqueux qui couvre la ſurface de tous les poiſſons, peut contribuer à rendre cet effet bien plus ſenſible. Si M. Schilling a vu pluſieurs fois les faits dont il a rendu compte, on ne peut que les rapporter à des cauſes accidentelles & étrangères au magnétiſme.

M. Walsh, Inghen-Housz & Breerenbroeck ont répété en 1778 ces expériences, avec pluſieurs bouſſoles & barres aimantées très fortement ; & après en avoir fait une quantité avec toute l’attention poſſible, ils ont conclu que ce poiſſon n’eſt aucunement ſenſible à la vertu magnétique ; & qu’il ne diſtingue aucunement une barre d’acier aimantée d’une pièce de tout autre métal. Une groſſe barre magnétique de M. Knight étant placée ſous lui, il donnoit une percuſſion électrique très-forte à une perſonne qui mettoit les deux mains dans l’eau, l’une près de la tête du poiſſon, & l’autre près de ſa queue ; aucune des bouſſoles ne ſe dérangea de la moindre façon, près de quelque partie du poiſſon qu’elle fût placée. En les rangeant à l’entour du bacquet dans lequel nageoit le gymnotus, aucune n’éprouva le plus petit dérangement, ſoit que le poiſſon s’en approchât, ſoit qu’il s’en éloignât. Nouv. exper. & observat. ſur divers objets de phyſique.1785.

Quelques-uns ayant aſſuré que les expériences de M. Schilling réuſſiſſoient ſur la torpille ; je les ai répétées, en employant de très-forts aimans & des aiguilles de bouſſoles bien mobiles ; néanmoins, quoique j’aie varié les épreuves de diverſes manières, jamais je n’ai vu aucun effet de ce prétendu magnétiſme de la torpille.

Dans les endroits où il y a des anguilles électriques, les habitans aſſurent que ces animaux, en frappant les autres poiſſons avec la queue, les engourdiſſent & les mangent enſuite. Les torpilles qui ſont auſſi électriques, ſe ſervent, ſelon pluſieurs naturaliſtes, de la faculté qu’elles ont de donner la commotion pour attraper les poiſſons : auſſi les pécheurs aſſurent-ils qu’elles ſe nourriſſent de poiſſons, & qu’on en trouve ſouvent dans leur estomac.

M. de Réaumur ayant mis une torpille & un canard dans un même vaſe plein d’eau de mer, &