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laquelle elles commencent à fermenter, à s’échauffer & à s’allumer, comme nous voyons que cela ſe fait à préſent dans pluſieurs opérations chimiques, qui produiſent différentes ſortes d’efferveſcences, accompagnées de feu & de flamme, &c. il ſemble qu’en raiſonnant ſur ces principes, on peut expliquer aiſément la plupart des phénomènes, & que nous ne ſerons peut-être pas fort éloignés de la vérité ». Cours de phys. tom. 3. page 389.

La matière de l’aurore boréale eſt de telle nature, ajoute ce ſavant, qu’elle peut s’enflammer & répandre enſuite une lumière foible. Cette matière eſt alors ſi raréfiée, qu’on peut toujours voir les étoiles à travers ; de ſorte que non-ſeulement les colonnes, mais auſſi la nuée blanche, & même la nuée noire, transmettent la lumière de ces astres. On ne ſauroit déterminer avec certitude la nature de cette matière. La chimie nous fournit aujourd’hui pluſieurs matières qui peuvent s’enflammer, brûler par la fermentation, & jeter de la lumière comme le phoſphore. Qu’on mêle du tartre avec le régule d’antimoine martial, & qu’on faſſe rougir long-temps ce mélange dans un creuſet, on en retire une poudre qui s’enflamme lorſqu’on l’expoſe à un air humide ; & ſi elle vieillit un peu, elle devient fort brûlante. L’aurore boréale n’eſt pas une flamme comme celle de notre feu ordinaire ; mais elle reſſemble au phoſphore, qui ne luit pas d’abord, & qui jette enſuite une lumière foible. Les colonnes que darde la nuée lumineuſe, ſont comme la poudre du phoſphore que l’on ſouffle dans l’air, ou qu’on y répand en la faiſant ſortir du cou d’une bouteille ; de ſorte que chaque parcelle jette à la vérité une lueur, mais elle ne donne pas de flamme ou de feu raſſemblé ; & la lumière eſt ſi foible, qu’on ne peut la voir pendant le jour, ni lorſque nous avons en été le crépuſcule du ſoir qui répand une trop grande clarté. Cette matière approche donc de la nature du phoſphore : mais quoique nous en connoiſſions peut-être plus de cinquante eſpèces, nous n’oſerions cependant aſſurer que la nature ne renferme pas dans ſon ſein un plus grand nombre d’eſpèces de matières ſemblables, puiſque l’arc nous en fait tous les jours découvrir des nouvelles. Muſſch.

Il eſt vraiſemblable, ſelon quelques phyſiciens, que cette matière tire ſon origine de quelque région ſeptentrionale de la terre, d’où elle s’élève & s’évapore dans l’air. Il s’en eſt évaporé de nos jours une plus grande abondance qu’auparavant ; parce que, diſent-ils, cette matière renfermée dans les entrailles de la terre, s’eſt détachée & s’eſt élevée après avoir été miſe en mouvement ; de ſorte qu’elle peut à préſent s’échapper librement par les pores de la terre, au lieu qu’elle étoit auparavant empêchée par les rochers, les voûtes pierreuſes, ou par des croûtes de terres compactes & durcies ; ou bien parce qu’elle étoit trop profondément enfoncée dans la terre. Ainſi nous ne manquerons point de voir des aurores boréales auſſi long-temps que cette matière ſe raſſemblera, & qu’elle pourra s’élever dans l’air : mais dès qu’elle ſera diſſipée, ou qu’elle viendra à ſe recouvrir par quelque nouveau tremblement de terre, on ne verra plus ces aurores, & peut-être ceſſeront-elles même de paroître entièrement pendant pluſieurs ſiècles. On peut expliquer par-là pourquoi l’on n’avoit pas aperçu cette matière avant l’an 1716, temps auquel on fut tout ſurpris de la voir ſubitement ſe manifester, comme ſi elle ſortoit de la terre en grande quantité. Cette matière ſe trouve peut-être répandue en pluſieurs endroits de notre globe, & y il a tout lieu de croire que ces lumières, dont les anciens grecs & romains font mention, & dont ils nous donnent eux-mêmes la deſcription, étoient produites par une matière ſemblable qui ſortoit de la terre, en Italie & dans la Grèce. Si ces phénomènes euſſent été alors auſſi peu fréquens en Italie qu’ils le ſont aujourd’hui, ni Pline, ni Sénèque, n’en auroient pas parlé, comme nous voyons qu’ils ont fait ; 2o. L’aurore boréale, ſelon M. de Mairan, vient de l’atmoſphère ſolaire qui, rencontrant quelquefois les parties ſupérieures de notre air, y laiſſe tomber une portion de la matière dont elle eſt compoſée ; & comme il n’y a point d’apparence que cette matière, cet air ſolaire, non plus que le nôtre, ſoit ſi parfaitement homogène qu’il n’y ait aucune diſſérence de figure, de groſſeur, de contexture & de poids dans les parties qui la compoſent, il doit deſcendre plus ou moins bas dans l’atmoſphère terreſtre, à raiſon du différent poids de ces parties, & s’y aſſembler, ſur des couches de différente hauteur. Les couches les plus baſſes & le plus près de nous ſeront chargées des parties les plus groſſières & les moins inflammables, & c’eſt de-là que réſulteront ces brouillards épais, mais d’ordinaire transparens, & cette eſpèce de fumée qui accompagnent ſi ſouvent l’aurore boréale, qui nous la cachent en partie & qui en ſont preſque toujours les précurſeurs, tantôt ſous la forme d’un ſegment de cercle qui borde l’horiſon du côté du nord, tantôt comme de ſimples nuages, répandus çà & là, ou dans tout le ciel, ſombre & fumeux par le côté qu’ils tournent vers nous ; mais blancs & lumineux par leur côté ſupérieur. Il y a donc au-deſſus de la matière obſcure & fumeuſe une matière plus légère & plus inflammable, & actuellement enflammée, ſoit par elle-même, ſoit par colliſion avec des particules d’air. » Traité phyſique & hiſtorique de l’aurore boréale, par M. de Mairan, pag. 4 & 5. Dans ce ſyſtême, l’aurore boréale n’eſt pas un météore lumineux ; mais elle tient le milieu entre les purs météores & les phénomènes coſmiques, tels que ceux de l’aſtronomie.

Cette idée, qui paroît d’abord grande, n’eſt cependant que gigantesque ; ſéduiſante au premier aſpect, elle ne ſoutient pas un examen approfondi, parce qu’elle ne porte que ſur des principes au moins précaires ; auſſi n’a-t-elle pas fait la fortune que ſembloit lui promettre la grande réputation de ſon auteur. Quelle étendue ne faut-il