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BAL

des cordages pour qu’elle ne dérivât pas dans les jardins voiſins ou ſur les maiſons. « Il en réſultoit que les cordes devoient faire un angle avec l’horiſon, tel que la hauteur perpendiculaire de la machine fut à l’éloignement des hommes qui tenoient les cordages, comme la tendance de la machine à monter eſt à l’impreſſion que le vent faiſoit ſur elle ; & comme les cordes ont preſque toujours fait un angle de 45 degrés avec l’horiſon, il ſuit qu’environ les de la force du vent étoient employés à repouſſer la machine en bas. Cet effet devenoit encore plus ſenſible lorſqu’on tiroit les cordages pour ramener la machine verticalement au-deſſus de la partie libre du jardin ; les de la force qu’on employoit à la tirer, réagiſſoient pour la faire deſcendre ; en ſorte que cet effort étant au moins de 5 à 600 livres, il en a dû réſulter une ſurcharge de 350 à 400 livres, qui n’eût pas eu lieu ſi la machine eût été en liberté. Ainſi, c’eſt autant à la tranquillité de l’air qu’à l’allégement de 100 que j’ai procuré à la machine, qu’on doit attribuer le plein ſuccès d’hier ».

Les expériences faites le 15, le 17, & le 19 octobre dans le faubourg Saint-Antoine, où MM. Pilatre, Vilette & d’Arlandes furent portés ſans danger à une aſſez grande hauteur, laiſſèrent entrevoir l’eſpérance de pouvoir tenter dans peu un premier voyage aérien, en abandonnant abſolument la machine. La cour de M. le dauphin, qui étoit au château de la Muette, choiſit les jardins ſpacieux de ce château pour l’expérience importante dans laquelle la machine aéroſtatique devoit s’élever en liberté dans l’air avec des hommes. Les ordres furent donnés pour conſtruire l’eſtrade & l’appareil néceſſaire. Le 21 novembre 1783, malgré un vent irrégulier qui accompagnoit de gros nuages blancs, on parvint à remplir la machine en peu de minutes. M. d’Arlandes & M. Pilatre de Rozier s’y placèrent, & elle partit ; mais comme par des raiſons particulières, l’on retint la machine par des cordes, les mêmes accidens qui étoient arrivés dans pareille occaſion ne manquèrent pas de ſe préſenter dans celle-ci ; le vent d’une part, la force d’aſcenſion de l’autre, & la réſiſtance des cordes, tourmentèrent ſi fort l’aéroſtat, qu’il ne tarda pas à ſe déchirer & à s’abattre enſuite ſur la terre, où il ſe ſeroit infailliblement brûlé, ſans les ſecours très-prompts qu’on fut à portée de lui donner. L’on vint à bout cependant de le ramener ſur l’eſtrade, où il perdit, en peu de minutes, par les déchirures qui s’y étoient faites, le gaz ou plutôt l’air raréfié qu’il contenoit. Pluſieurs autres épreuves ont prouvé conſtamment qu’il valoit mieux laiſſer partir tout de ſuite un aéroſtat qui eſt prêt, que de le retenir.

L’accident dont on vient de parler n’eut pas de ſuites ; car après une heure & demie environ de travail, tout étant réparé, & la machine ayant été remplie en huit minutes, elle fut promptement leſtée avec les approviſionnemens de paille néceſſaires pour entretenir le feu pendant la route, & MM. d’Arlandes & de Rozier reprirent leurs poſtes.

L’aéroſtat quitta bientôt la terre (à une heure 54 minutes), s’éleva d’abord d’une manière tranquille pour qu’on pût le conſidérer à l’aiſe ; mais à meſure qu’il s’éloigna, l’on vît les voyageurs baiſſer leurs chapeaux & ſaluer les ſpectateurs, qui étoient tous dans le ſilence & l’admiration, mais qui éprouvoient un ſentiment d’intérêt mêlé de reſpect & de crainte. La machine qui continua à s’élever de la manière la plus majeſtueuse, fut portée en peu de temps à une telle hauteur, qu’il ne fut plus poſſible de diſtinguer les hommes, & elle ne paroiſſoit elle-même guères plus grande qu’un luſtre. On la vit longer l’Iſle des Cygnes & filer au-deſſus de la Seine juſqu’à la barrière de la Conférence, où elle traverſa la rivière, mais toujours à une très-grande hauteur ; de manière que les habitans de Paris, qui accourroient en foule de toutes parts, purent la voir des rues les plus étroites & de toutes celles où les maiſons ſont les plus élevées. Les tours de Notre-Dame étoient couvertes d’obſervateurs & de curieux, & la machine paſſant entre le ſoleil & le point qui correſpondait à une des tours, y produiſit un éclipſse d’un nouveau genre. Enfin l’aéroſtat s’élevant ou s’abaiſſant plus ou moins en raiſon de la manœuvre des voyageurs aériens, paſſa entre l’hôtel des Invalides & l’École militaire ; & après avoir plané ſur les Miſſions étrangères, il s’approcha de Saint-Sulpice. Alors les navigateurs ayant forcé le feu pour quitter Paris, s’élevèrent & trouvèrent un courant, qui les dirigeant vers le ſud, leur fit dépaſſer le boulevart, & les porta dans la plaine ; l’expérience leur ayant paru complette, ils crurent qu’il étoit inutile, dans un premier eſſai, d’aller plus loin, & ceſſèrent le feu ; la machine s’abaiſſa & ſe repoſa ſur la Butte-aux-cailles, entre le moulin des Merveilles & le Moulin-Vieux ; mais la dilatation ceſſant par l’abſence de chaleur, la machine ſe déprima, & perdit tout ſon air en touchant terre, après avoir franchi dans le vague de l’air un intervalle de plus de 4 000 toiſes. La machine ayant été miſe en ordre & en ſûreté en moins de dix minutes, fut chargée ſur une charette, & on la reporta au faubourg Saint-Antoine.

Dans ce voyage, ces premiers navigateurs aériens s’élevèrent au moins à trois mille pieds de hauteur ; dans cette route, qui fut de plus de 5 000 toiſes, en comptant les tours & détours, ils ne mirent que 20 à 25 minutes. Cette machine avoit 70 pieds de hauteur, & 46 pieds de diamètre ; elle contenoit 60 000 pieds cubes, & le poids qu’elle enleva fut de dix-ſept cents livres.