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5o. Aéroſtat des Tuileries. Second voyage aéroſtatique. L’expérience de la Muette, qui étoit le premier voyage aérien, avoit excité le déſir d’en voir un ſecond. MM. Charles & Robert ouvrirent une ſouſcription pour conſtruire un globe de taffetas enduit de gomme élaſtique, de vingt-ſix pieds de diamètre, & à air inflammable, auquel ſeroit ſuſpendu un char où ſeroit un navigateur. Bientôt ce globe fut en état d’être expoſé à la vue des amateurs. Le 26 décembre il étoit déjà ſuſpendu à l’entrée de la grande allée des Tuileries, étant retenu par une corde tendue d’un arbre à l’autre ; le lendemain l’on fut occupé à le remplir de gaz.

L’appareil pour cet objet conſiſtoit en pluſieurs tonneaux, placés circulairement autour d’une cuve pleine d’eau ; de longs tuyaux de plomb partoient de ces tonneaux, & venoient ſe réunir ſous une cloche plongée dans l’eau deſtinée à recevoir tout le gaz inflammable qui ſe développoit des tonneaux dans leſquels l’on jetoit de la limaille de fer & de l’acide vitriolique affoibli d’eau. Cette eſpèce d’entonnoir portoit le gaz dans un tube qui communiquoit avec le globe. Divers accidens firent retarder l’expérience juſqu’au 1er décembre 1783.

Le jour fixé étant arrivé, un peuple immenſe s’empreſſa de toutes parts pour jouir de ce brillant ſpectacle. Enfin, le bruit du canon qui retentit d’intervalle en intervalle, annonce les premières manœuvres ; le globe eſt amené au milieu de l’enceinte ; on fait les diſpoſitions & les approviſionnemens convenables pour le voyage ; un char, ou plutôt une nacelle, eſt ſuſpendue au globe plein de gaz inflammable : on la charge d’un leſt proportionné.

En attendant la grande expérience, on fait partir un petit ballon vert de 5 pieds 6 pouces de diamètre, qui fut lancé par M. Montgolfier. Le canon ſe fait entendre de nouveau, l’on brûle à diverſes repriſes de grandes amorces de poudre, & l’on met en évidence les ſignaux ſur le dôme des Tuileries. Enfin les voyageurs prennent leur place, le globe s’ébranle, « le char quitte la terre, & s’élevant au milieu du ſilence & de l’admiration, permet par ſa marche tranquille & modérée, de ſuivre des yeux & du cœur deux hommes intéreſſans, qui, ſemblables à deux demi-dieux, ſe dirigent vers le ſéjour des immortels, pour y recevoir le prix du courage & de l’intelligence, & y porter le nom à jamais célèbre des Montgolfier. Le globe étant élevé à 300 toiſes, il ne fut plus poſſible de diſtinguer les navigateurs aériens ; mais des banderoles de couleur qu’ils agitèrent dans l’air, annoncèrent leur ſécurité & leur heureux voyage ; dès-lors toute crainte ceſſant, l’enthouſiaſme ſuccéda à l’étonnement, & de juſtes démonſtrations d’applaudiſſemens & de joie ſe manifeſtèrent de toutes les manières ».

Le char aérien étant arrivé à la hauteur de Monceau, reſta un inſtant en ſtation, ſe retourna, & ſuivant la direction du vent, traverſa la Seine entre Saint-Ouen & Aſnières, & paſſa preſqu’au-deſſus de Gennevilliers. Comme la rivière fait de grandes ſinuoſités, elle fut franchie une ſeconde fois, non loin d’Argenteuil, & les voyageurs filèrent dans la direction de Sanois, Franconville, Eau Bonne, Saint-Leu, Taverny, Villiers, l’Iſle-Adam ; & après avoir parcouru un trajet d’environ neuf lieues, en s’abaiſſant plus ou moins, & s’élevant à volonté, au moyen du leſt qu’ils jetoient, ils arrivèrent doucement, & ſans aucune eſpèce d’accident, à trois heures & demi paſſées, dans la prairie de Neſle, où arrivèrent peu de temps après un prince & quelques ſeigneurs qui ſuivirent ſur d’excellents chevaux le globe, qu’ils ne perdirent jamais de vue. Un procès verbal fait dans ce dernier endroit, conſtata que cet aéroſtat étoit deſcendu dans la prairie de Neſle, à trois heures trois quarts : ils étoient partis à une heure & trois quarts.

Le procès verbal étant ſigné, & M. Robert ayant quitté le char, ce qui produiſit une légereté ſpécifique de 130 livres, M. Charles ſe décida à partir ſeul ; les perſonnes qui retenoient le char l’abandonnèrent à un ſignal donné, & le globe s’éleva avec une telle vîteſſe, qu’en dix minutes il fut porté à plus de 1 500 toiſes, ſelon M. Charles, qui ne pouvoit plus diſtinguer les objets terreſtres à cette hauteur. Le paſſage ſubit d’un air tempéré à un air glacial, ne fut point inſupportable pour l’intrépide navigateur. Mais s’appercevant à cette grande hauteur qu’il y avoit ſept à huit minutes qu’il ne montoit plus, qu’il commençoit même à deſcendre, il accéléra ſa deſcente, en tirant de temps en temps la ſoupape ſupérieure, & vint deſcendre auprès du bois de la Tour-du-Lay, ayant fait en 35 minutes un trajet qu’on peut évaluer à plus de trois lieues, à cauſe des déviations fréquentes que le globe éprouva dans l’air. Voyez la figure 118, qui repréſente ce globe auquel le char eſt ſuſpendu.

Le char étoit en oſier, recouvert en toile, avec des peintures & des ornemens ; ſa longueur étoit de 7 pieds 6 pouces, ſa largeur de 3 pieds 10 pouces & ſa profondeur de 3 pieds 2 pouces, ſon poids de 130 livres ; il étoit ſuſpendu par un grand nombre de cordes qui tenoient à un filet placé ſur l’hémiſphère ſupérieur du ballon ; le poids total de l’étoffe, du filet, du char, des deux hommes, du leſt, & autres objets acceſſoires, par des peſées très-exactes, étoit de 604 livres  ; l’excès de légèreté de la machine, fut déterminé par le moyen d’un peſon à reſſort à 20 livres. Le poids de l’air déplacé a dû être de 771 livres , le poids de l’air inflammable, de 147 livres, & leurs peſanteurs ſpécifiques dans le rapport de 5 à peu près.