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a pu lui en donner. Pour le conſtruire, on a été obligé, en pluſieurs endroits, de faire des fouilles de 14 toiſes de profondeur ; ce qui en a rendu l’exécution très-difficile : l’on fit 150 regards ſur la longueur de cet aqueduc, qui n’étoient point placés à égale diſtance, mais ſeulement aux endroits qui pouvoient faciliter le transport des matériaux. Voyez l’architecture hydraulique de Belidor.

Lorſqu’on trouve des facilités pour conduire l’eau dans une rigole, & qu’on ne peut ſe diſpenser de la faire paſſer par des vallons profonds, il faut, pour continuer le niveau de pente, ſoutenir les eaux ſur des aqueducs de maçonnerie élevés par des arcades ; c’eſt ainſi qu’en ont uſé les romains pour amener de bonnes eaux dans les villes, comme le font voir les veſtiges qui reſtent de leur magnificence, aux environs de Niſmes, d’Arles, de Frejus, de Metz, de Ségovie, &c. Des ſources abondantes rempliſſoient un réſervoir ; de là l’eau étoit conduite par des canaux ſouterrains de pierre de taille, & ſouvent ſi ſpacieux, qu’un homme pouvoit y marcher debout ; quelquefois ces canaux traverſoient des rivières ſur de hautes & ſuperbes arcades, comme on le voit au pont du Gard en Languedoc, & ſur la moſelle, près de Metz. À l’aqueduc de Ségovie il reſte encore à présent plus de 150 arcades, toutes formées de grandes pierres ſans ciment ; elles ont avec le reſte de l’édifice, plus de cent pieds de haut. Cet aqueduc traverſe la ville, & paſſe par-deſſus la plus grande partie des maiſons.

M. Delorme, de l’académie de Lyon, a fait connoître, par un mémoire qu’il lut dans une aſſemblée de cette ſociété, une partie des travaux immenſes que les romains avoient faits pour amener de l’eau de toutes parts à la ville de Lyon. Quelle dépenſe & quelle hardieſſe n’a-t-il pas fallu pour franchir les montagnes qui ſont entre Feur, Saint-Étienne, Saint-Chaumond & Lyon ! ſi l’on mettoit bout à bout tous les aqueducs qui ont été faits en différens temps pour amener de l’eau à Lyon, ils occuperoient une étendue de plus de ſoixante lieues de long.

Rome moderne ſe ſert encore des aqueducs que conſtruiſirent ſes premiers habitans, il y a près de 2 500 ans. Tous les aqueducs qui conduiſoient les eaux à l’ancienne Rome, pris enſemble, avoient plus de cent lieues de long.

L’aqueduc que les Romains conſtruisirent aux environs de Nîmes, avoit ſept lieues de long ; le pont du Gard en faiſoit partie. La deſcription de celui-ci mérite de trouver ici une place. Il fut conſtruit pour amener dans cette ville les eaux des fontaines d’Airan & d’Eure, qui prennent leur ſource près d’Uzès. Trois rangs d’arches à plein ceintre, poſées les unes ſur les autres, conſtituent ce fameux pont ; le rang le plus bas a ſix arches, de 10 toiſes 2 pieds de hauteur & 83 toiſes de longueur ; les eaux de la rivière paſſent ordinairement ſous la cinquième arche, qui a 13 toiſes d’ouverture ; le ſecond rang a 11 arches, 10 toiſes de hauteur, & 133 toises 2 pieds de longueur : le troiſième rang a 35 arches, 4 toiſes de hauteur & 136 toiſes 3 pieds de longueur : l’élévation totale du pont, depuis le niveau de l’eau du Gardon, eſt de 24 toiſes 3 pieds.

Ce monument, un des plus beaux & des plus hardis de l’antiquité, eſt bâti en pierres de taille poſées à ſec ; il eſt d’ordre toſcan. Élevé entre deux hautes montagnes, à trois lieues au nord-eſt de Nîmes, il les unit enſemble. Au niveau de leur ſommet eſt conſtruit un aqueduc de quatre pieds de longueur, ſur cinq de hauteur dans œuvre ; il eſt couvert de dalles d’un pied d’épaiſſeur, de trois de largeur & d’un pied de ſaillie. L’intérieur eſt enduit d’une couche de ciment de trois pouces d’épaiſſeur, ſur laquelle on avoit paſſé une peinture rouge, ſans doute pour empêcher la filtration. Le fond de l’aqueduc eſt un blocage de petites pierres mêlées avec du gravier & de la chaux ; ce qui forme un maſſif de huit pouces d’épaiſſeur. Ce grand aqueduc continué juſqu’à Nîmes, y portoit les eaux dans des réſervoirs ſitués dans les divers quartiers de la ville.

Vers le commencement du 17e. ſiècle, on voulut faire ſervir le pont inférieur pour le paſſage des voitures, & à cet effet on échancra inconſidérément les piles des arches du ſecond rang, & l’on y pratiqua des encorbellemens avec des garde-foux. Mais heureuſement on s’apperçut bientôt de cette erreur qui auroit entraîné la ruine de l’édifice. On fit donc remettre ce pont à-peu-près dans ſon ancien état, en ne laiſſant qu’un petit chemin pour les gens à pied ou à cheval. Mais comme un paſſage ſur le Gardon étoit indiſpenſable pour les voitures pendant les groſſes eaux, les états-généraux de la province réſolurent d’adoſſer un ſecond pont au premier, ce qui fut exécuté en 1747.

Nous ne dirons rien ici de quelques autres grands aqueducs conſtruits par les Romains, tels que ceux de l’Aqua-Marcia, de Druſus, de Rimini, de Carthage, &c. On peut voir l’Antiquité expliquée du P. Montfaucon. Il nous ſuffira de remarquer, ainſi que nous l’avons déjà fait dans notre mémoire couronné par l’académie de Lyon, ſur la meilleure manière de paver & de nettoyer les rues d’une ville, que quelque magnifiques que fuſſent les temples, les théâtres, les amphithéâtres, les bains, les colonnes, les obéliſques, dont la grandeur, l’éclat, la beauté, frappoient tous les regards, c’eſt avec raiſon que Strabon s’étonnoit de la magnificence qu’on remarquoit dans ſes rues & chemins, dans ces cloaques conſtruits pour entretenir la propreté des rues, & dans les aqueducs, ouvrages admirables, négligés cependant par les Grecs, auteurs de tant d’inventions excellentes & à jamais mémorables.