Les Romains, afin de procurer & d’entretenir la propreté des rues, ont employé des moyens qu’aucun peuple de la terre, quelque puiſſant qu’il fût, n’a oſé imiter ; je veux parler de leurs magnifiques cloaques ; ces deux noms qui dans notre langue ſemblent peu faits pour être enſemble, s’allient merveilleuſement dans celle des Romains. Auſſi Caſſiodore les appelle-t-il ſplendidas ; & Pline dit que c’eſt la plus haute entrepriſe qui fut jamais faite dans la capitale du monde. Ces cloaques admirables, (vrais égouts, vrais aqueducs ſouterrains) ne ſervoient qu’à purger les rues de la ville de Rome de leurs immondices. On eſt ſurpris, dit Pline, comment, pour les faire, on a pu percer & enfoncer les montagnes, & rendre par ce moyen la ville de Rome preſque ſuſpendue en l’air. Strabon aſſure que l’on pouvoit aller par bateaux au-deſſous de toutes les rues, ces cloaques ou aqueducs étant d’une largeur & d’une hauteur ſi conſidérables, qu’un char de foin y pouvoit très-facilement. Pline ajoute qu’Agrippa y fit former ſept conduits d’une eau ſi rapide, qu’elle emportoit ordinairement, comme un torrent, tout ce qu’elle rencontroit, & qu’on ne s’appercevoit pas, de ſon temps que l’eau eût produit la moindre détérioration, quoiqu’ils euſſent été conſtruits depuis le siècle de Tarquin l’ancien, c’eſt-à-dire, depuis plus de huit cents ans.
Ces cloaques, ſelon Albert, ne ſont rien moins que des ponts, des arches ou des voûtes d’une extrême longueur & largeur, qui ont été conſtruits ſous les grandes rues de la ville, pour les nettoyer, & pour ſoutenir le fardeau des matériaux dont elles étoient pavées, de même que les colonnes, les obéliſques, & autres ouvrages d’un poids énorme, qu’on charrioit tous les jours. On peut juger de la ſolidité de ces aqueducs ſouterrains, par le trait ſuivant que Pline rapporte. M. Scaurus voulant faire tranſporter trois cent ſoixante colonnes de marbre, chacune de 38 pieds de longueur, du lieu où elles avoient été à ſon théâtre, juſqu’au Mont Palatin, pour en décorer ſa maiſon, les commiſſaires ou intendans des cloaques, craignant que le tranſport d’un grand nombre de maſſes auſſi peſantes, n’ébranlât ces eſpèces de voûtes, demandèrent à Scaurus qu’il s’obligeât à faire réparer à ſes dépens tout le dommage qui pourroit en réſulter. Cette précaution fut inutile, car on ne remarque aucune dégradation. C’eſt par ce moyen admirable que les rues de Rome étoient nettoyées des boues & des immondices dont le pavé pouvoit être couvert ; car il y avoit divers égouts & réceptacles par où les eaux entraînoient dans leur chûte les ordures qui étoient ſur le pavé ; de ſorte qu’en quelques inſtans les rues étoient nettes & ſèches. Jamais ces aqueducs ſouterrains ne pouvoient être comblés, parce qu’à toute heure il étoit facile de les nettoyer par le moyen de ſept canaux, d’où ſortoit une eau mue avec une grande rapidité, en levant les écluſes qui la retenoient. Ce torrent impétueux entraînoit le tout dans le Tibre par les bouches deſdits aqueducs qui y avoient été conſtruits par Tarquin l’ancien, qui en ſut le premier auteur. Quelle ne devoit pas être la ſolidité de ces aqueducs ſouterrains, puiſque ni huit ſiècles écoulés, ni le choc continuel des eaux, ni les débordemens du Tibre, ni les chûtes fréquentes des maiſons, ni les tremblemens de terre, &c. n’avoient pu tant ſoit peu entamer leur maçonnerie ?
Par ce qu’on vient de dire, on peut voir à quel point de perfection les Romains avoient porté l’art des aqueducs. Ils ne négligèrent rien pour en conſtruire par-tout où ils étoient néceſſaires, ſurtout pour conduire les eaux, même dans leurs colonies les plus éloignées de la métropole, ainſi que le démontrent les reſtes magnifiques de ces ſuperbes monumens qu’on admire encore en France & dans d’autres contrées.
Sous le règne de Louis-le-Grand, on en a conſtruit de très-beaux, les aqueducs d’Arcueil, de Rocquancourt dont nous avons déjà parlé, & ſur-tout le ſuperbe aqueduc de Maintenon, dont on voit la figure dans l’architecture hydraulique de Belidor, Tom. II. Liv. IV. Chapitre quatrième, planche première. Il eſt élevé par trois ſuites d’arcades, placées les uns au deſſus des autres, dont l’objet eſt de former en l’air la rigole ou canal, accompagnée de deux banquettes & d’un parapet de chaque côté, &c. Cet aqueduc, le plus grand qui ſoit à préſent dans l’univers, a trente cinq mille pieds de long & deux cent quarante deux arcades ; il fut conſtruit pour porter les eaux de la rivière de Bucq à Versailles : nous ne parlerons point ici de ceux de Marly, qui ſont très-connus.
L’aqueduc de Montpellier, conſtruit récemment sous la direction de M. Pitot, a 7 400 toiſes de long ; il a mené à l’endroit le plus élevé de cette ville, les eaux de la fontaine de Saint-Clément, qui fournit 80 pouces d’eau ou environ. Il y a eu, dans la longueur de cet aqueduc, 200 toiſes à percer, dans un tertre auſſi dur que le roc, qu’on a néanmoins voûté par ſous-œuvre : on a de plus conſtruit, dans cette étendue de chemin, pluſieurs ponts-aqueducs.
Il y a peu d’années que le roi des deux Siciles fit conſtruire le bel aqueduc de Caſerte. Le prince de Biſcari en a fait conſtruire un dans la terre d’Aragona en Sicile, qui conſiſte en trente & une arcades qui vont d’une montagne à l’autre. Le grand maître actuel de Malte fait travailler à grands frais depuis huit ans, à doubler le fameux & ſuperbe aqueduc conſtruit ſous le magiſtère du grand maître Vignacourt, qui tranſporte dans l’étendue de cinq lieues les ſeules eaux qu’on voit dans la cité-Valette, & qui, dans leurs cours, ſervent à l’arroſage des cotons qui font la pro-