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ciel, le ſeptentrion parut tout en feu & changé en ſang, avec un mélange de traits ou de rayons plus clairs qui traverſoient la partie rouge en forme de lances.

D’après ce qu’on vient de voir, on ne ſera pas, ſans doute, ſurpris que ce phénomène naturel ait été long-temps regardé comme le ſigne de la mort des princes, comme le préſage d’évènemens funestes ; en un mot, pour des marques de la colère de l’être-ſuprême : auſſi a-t-on vu des peuples courir en foule dans les temples, ſe couvrir de cendres & de cilices, & faire des œuvres de pénitence & de miséricorde. Au mois de ſeptembre de l’an 1583, on vit venir à Paris, en proceſſion, les habitans de pluſieurs petites villes & villages, avec leurs ſeigneurs. Ils diſoient avoir été émus à faire tels pénitenciaux voyages, pour ſignes vus au ciel, & feux en l’air, même vers le quartier des Ardènes, d’où étoient venus les premiers, tels pénitens, juſqu’au nombre dix à douze mille, à Notre-Dame de Reims & de Lieſſe. Voyez le journal d’Henri III, & mém. pour servir à l’hiſtoire de France, tome I. page 168, édition de 1714, à Cologne.

Dans la chronique du roi Louis XI, (in-8°, 1558, pag. 70), il eſt dit que le 18 novembre 1465, pluſieurs furent épouvantés, ne ſachant ce que c’étoit, & qu’un homme en devint fol de frayeur…… & perdit ſens & entendement en allant ouïr meſſe au Saint-Eſprit. En 1527, le 11 octobre & le 12 décembre, on crut auſſi apercevoir des rayons obſcurs, en forme de queues, des lances, des épées ſanglantes, des viſages d’hommes & des têtes tranchées, hideuſes par les barbes horribles & les cheveux dont elles étoient hériſſées. Quand la crainte domine les eſprits, dans quelles ridicules rêveries & dans quelles monſtrueuſes abſurdités ne les plonge-t-elle pas ! pluſieurs perſonnes tombèrent en ſyncope au ſpectacle de celle du 11 décembre de la même année, comme le certifie Creuſer, témoin oculaire, cité par Cornelius Gemma, fameux médecin de Louvain. De divinis naturœ caracter. lib. 1, cap. VIII, pag. 210. Ce dernier auteur même nous dit dans une de ſes deſcriptions, que la terreur que ces ſignes inſpiroit, lui faiſoit dreſſer les cheveux de la tête. Auſſi quelquefois croyoit-il voir vers le zénith, un aigle ſuſpendu dans les airs par le balancement de ces ailes étendues, & dirigées de l’orient à l’occident. Ailleurs, il dit : « qu’afin qu’il ne manquât rien à tant de prodiges pour nous figurer les événemens futurs, la face du ciel ſe trouva alors changée pendant une heure de temps, en une eſpèce étrangère de cornet à jouer aux dez, &c. »

On peut voir par ce petit nombre de témoignages, qu’il ſeroit très-aiſé de multiplier les idées diverſes que ce phénomène brillant a excitées dans les eſprits des peuples, à différentes époques de temps. L’hiſtoire des préjugés & des erreurs de l’efprit humain, n’eſt pas moins intéreſſante que celle des ſciences, pour les philoſophes principalement. Elle nous apprend sur-tout, que la crainte qui domine l’imagination, défigure tous les objets, en les peignant de couleurs ſombres, de même que le deſir les embellit tous en leur prêtant des charmes ſans nombre ; que les opinions dominantes influent ſingulièrement ſur la manière de voir. On peut reconnoître chaque ſiècle à ſa façon de peindre les évènemens, & deviner le ſiècle d’Ariſtote & d’Alexandre, aux traits dont les apparences de l’aurore boréale ont été décrites ; celui de Pline, aux boucliers ardens qui courent dans le ciel, aux armées qui ſe combattent, au bruit des armes, au ſon des trompettes ; le ſiècle d’Attila, par les plaies de ſang & de feu qu’on vit vers l’Aquilon ; celui de Grégoire de Tours, à la forme de capuchon, qu’il donne au pavillon de l’aurore boréale, lorſqu’elle atteint le zénith : en unum cuculi caput colligitur ; les années où écrivoit Cornelius Gemma, par cette eſpèce de cornet à jouer aux dez, qui figure les évènemens futurs, & repréſente un tableau fidèle des calamités, des viciſſitudes & de tous les coups de la fortune auxquels la Flandre ſe trouva bientôt expoſée ; le ſiècle de Henri III, ou plutôt le temps dans lequel il vivoit, car un prince, indigne du trône, ne mérite pas l’honneur de donner le nom à ſon ſiècle ; le règne de Henri III, dis-je, aux proceſſions de pénitens & de pèlerins, faites pour appaiſer la colère de Dieu qui par des ſignes vus au ciel, avoit commencé de ſe manifeſter ; & enfin le beau ſiècle de Deſcartes & de Gaſſendi, par l’eſpèce d’aurore qui ſembloit naître du côté du ſeptentrion.

On peut auſſi à leurs préjugés & à leurs opinions, reconnoîrre dans le même ſiècle, les divers pays qui couvrent la ſurface de la terre ; & cette manière d’étudier la géographie, n’eſt pas moins curieuſe que la méthode ſèche& décharnée qui eſt encore ſi accréditée. Ainſi, pour ne rapporter qu’un exemple, on reconnoîtra dans le dix-huitième ſiècle la Chine, aux idées que l’apparition des aurores boréales y fait naître. Ces phénomènes y ſont regardés comme des préſages funeſtes pour l’empereur, parce que cette nation moutonnière donne ce nom à tout ce qui paroît s’écarter des loix ordinaires de la nature. Je pourrois citer, même dans ce ſiècle de philoſophie & de lumière, d’autres exemples, pris chez des nations moins éloignées, mais les vérités ne plaiſent pas aſſez généralement.

Dans le même ſiècle, & dans le même pays on peut juger de la trempe des génies à leur façon de penſer. Baptiſte le Grain, auteur eſtimable à bien des égards, dans ſa décade de Louis le juſte, dit au ſixième livre, « qu’il obſerva dans Paris, l’an 1615, ſur les 8 heures au ſoir, du 26 octobre, des hommes de feu au ciel, qui combattoient avec des lances, & qui, par ce ſpectacle effrayant, pro-