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AUR

AURORE BORÉALE. L’aurore boréale, ainſi que ſon nom l’indique, eſt une lumière plus ou moins éclatante, qui paroît quelquefois vers le nord. Lorſque le ſoleil eſt ſur le point de ſe lever, on voit du côté de l’orient une lumière qui brille à tous les yeux, & qui eſt l’avant-coureur de l’aſtre du jour. La lumière qu’on apperçoit au nord, dans le temps d’une aurore boréale, eſt ſemblable à la véritable aurore, & ſouvent on croiroit qu’elle annonce le lever du ſoleil, ſi on ignoroit l’heure actuelle & l’endroit où eſt réellement le ſeptentrion. Il y en a qui ont défini l’aurore boréale en une eſpèce de nuée rare, tranſparente & lumineuſe, qui paroît de temps en temps ſur l’horiſon, la nuit du côté du nord ; mais cette définition eſt bien vague. On en aura une idée bien plus diſtincte, lorſqu’on aura donné pluſieurs deſcriptions des différentes apparences de ce phénomène & de ſes diverſes esſèces, comme nous le ferons bientôt, & à meſure que l’ordre méthodique nous y conduira.

L’aurore boréale eſt, ſans contredit, un des ſpectacles les plus magnifiques que le ciel puiſſe étaler dans ſa pompe. Elle n’auroit dû, ce ſemble, exciter dans les eſprits que l’admiration ; cependant elle n’a preſque jamais inſpiré que la terreur & la crainte, filles ordinaires de l’ignorance. Dès les premiers âges, les timides habitans de ce globe terraquée, ont été ſaiſis d’effroi à l’aſpect de ce phénomène impoſant & majeſtueux ; &, malgré les lumières que les philoſophes ont tâché de répandre dans divers ſiècles, les ténèbres des préjugés & des erreurs populaires, toujours renaiſſantes, n’ont jamais pu être entièrement diſſipées. L’hiſtoire de tous les temps en fournit mille preuves auxquelles on ne ſauroit ſe refuſer.

Quoique Ariſtote eût parlé en philoſophe de ce phénomène dont il avoit été ſpectateur, au moins dans la Macédoine, ſur-tout pendant les huit années qu’il y paſſa auprès de ſon diſciple Alexandre le grand, les vains préjugés n’en régnèrent pas avec moins d’empire pendant les ſiècles qui ſuivirent, & nous voyons, non ſans étonnement, avec quelle différence Pline l’oncle en parle. Ariſtote compare l’aurore boréale à une flamme mêlée de fumée, à la lumière d’une lampe qui s’éteint, & à l’embrâſement d’une campagne dont on brûle le chaume. Elle a principalement cette apparence, lorſqu’elle s’étend beaucoup en longueur & en largeur. Ce ſont, dit-il, de ces phénomènes qui ne paroiſſent que pendant la nuit, & dans un temps ſerein. Le gouffre déſigne, ſelon lui, le ſegment obſcur ; il nomme tiſons allumés, torches, lampes, poutres ardentes, les colonnes, les jets de lumière qu’on remarque ſouvent dans ce phénomène. Selon cet illuſtre philoſophe, les couleurs le plus généralement répandues ſur le phénomène, ſont le pourpre, le rouge vif & la couleur de ſang. Liv. Ier. des météores d’Ariſtote, Chap. IV & V.

Sénèque, dans le premier livre de ſes queſtions naturelles, dit, en parlant des feux céleſtes ; les uns reſſemblent à une foſſe creuſée circulairement comme l’entrée d’une caverne ; les autres, ſemblables à une immenſe tonne remplie de feu, demeurent quelquefois à la même place, & quelquefois ſont portées ça & là. On voit aussi les gouffres (chasmata), lorſque le ciel entr’ouvert ſemble vomir des flammes. Ces feux, continue-t-il, brillent de différentes couleurs ; les uns ſont d’un rouge très-vif, les autres reſſemblent à une flamme légère qui va s’éteindre ; la lumière de ceux-ci eſt blanche & étincelante ; celle de quelques autres tire ſur le jaune ; & demeure tranquille ſans aucune émiſſion de rayons. Il y eut un pareil phénomène sous l’empereur Tibère, qui dura pendant une grande partie de la nuit, & qui n’ayant qu’une ſombre lueur, comme celle d’une flamme mêlée de fumée, fit croire que toute la ville d’Oſtie étoit en feu ; de manière que les cohortes y accoururent pour y porter du ſecours. On ne doit avoir aucune peine de croire ce fait, puiſque, ſelon une lettre de M. le comte de Plelo, ambaſſadeur de France à Copenhague, écrite en 1731, on connoiſſoit ſi peu les aurores boréales en Dannemark en 1709, qu’un grand phénomène de ce genre s’étant manifeſté, pluſieurs corps-de-garde ſortirent, prirent les armes & battirent le tambour.

Pline, ce naturaliſte ſi inſtruit, parle dans ſon ouvrage des armées vues dans le ciel, qui ont paru ſe choquer de part & d’autre de l’orient & de l’occident, du bruit des armes & du ſon des trompettes que l’on y a entendu. Liv. II, Chap. LVII. On voit encore, dit-il plus haut, & rien n’eſt d’un plus terrible préſage pour les humains, on voit dans le ciel un incendie qui ſemble tomber ſur la terre en pluie de ſang, ainſi qu’il arriva la troiſième année de la 107e olympiade, lorſque Philippe travaillait à ſoumettre la Grèce. Les feux qui parurent à Rome & dans l’Italie, lorſque Tibère faiſoit empoiſonner à Antioche Germanicus, furent regardés par le vulgaire comme des ſignes de la mort de ce bon prince, qui faiſoit les délices du peuple romain.

Nicéphore dit qu’on vit la nuit dans le ciel des épées & des lances, avant la mort de Théodoſe-le-grand, qui arriva en 395 Hiſt. Ecclés. liv. XII, chap. 37. L’irruption d’Attila, roi des Huns, dans les Gaules, fut précédée, à-peu-près vers l’an 450, par des aurores boréales, qu’on ne manqua pas de regarder comme des ſignes funeſtes des ravages & des cruautés ſans nombre qu’exerça ce monſtre qui prenoit plaiſir à ſe nommer le fléau de Dieu & le marteau de l’univers ; qui diſoit avec une barbare complaiſance, que devant lui la terre trembloit ; c’étoit ſans doute, a-t-on dit, de l’horreur qu’elle avoit de porter ce monſtre. Selon Iſidore de Séville, dans l’hiſtoire des Goths, il y eut pluſieurs ſignes dans le