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BAG
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chaſſeurs pourroient prétendre, comme les ſourciers, découvrir les endroits où les lièvres pourſuivis s’arrêtent, même après avoir éloigné leurs chiens, & ſoutenir qu’ils devroient ces indications à la baguette divinatoire. On ſait que le lièvre, après avoir échappé à l’ardeur des chiens & du chaſſeur, ſe couche ventre à terre ſur l’herbe la plus fraîche : ſon corps exhale alors une espèce de fumée qui le trahit, même à une distance éloignée. Un chaſſeur habile, averti par cet indice, peut donc, en faiſant éloigner ſes chiens, s’avancer, tuer le lièvre au gîte, & ſoutenir qu’il ne doit cette connoiſſance qu’à la baguette qu’il auroit fait préalablement tourner pour en impoſer. Si quelque partiſan de la vertu divinatoire de la baguette, ſe moquoit des perſonnes du peuple à qui le chaſſeur ruſé auroit fait illuſion, on pourroit lui répondre : quid rides, de te fabula narratur.

Il ne ſera pas inutile, pour donner plus de force encore à nos preuves, de rapporter les faits principaux ſur leſquels on s’eſt appuyé en divers temps, & de montrer qu’ils ſont tous faux.

Le plus fameux hydroſcope du ſiècle paſſé a été Jacques Aymar, de Saint-Veran, en dauphiné. Le trois ſeptembre 1692, on fit une épreuve de ſon talent chez le lieutenant-général de la ſénéchauſſée de Lyon, qu’on peut voir décrite fort au long dans le traité de la baguette divinatoire de M. Garnier, & dont on ne donnera ici que ce qu’il y a d’eſſentiel. « Jacques Aymar prit une baguette fourchue, qui tourna ſitôt qu’on eut mis trois écus ſous ſon pied droit : ſon mouvement fut plus rapide lorſqu’on en mit davantage. On diſpoſa ſur les tablettes de la bibliothèque pluſieurs chapeaux : on cacha de l’argent ſous quelques-uns ; on n’en cacha point ſous d’autres. La baguette tourna ſur l’argent ; elle reſta immobile ailleurs… Pluſieurs fois chacun de nous mit ſous le pied de Jacques Aymar la main tantôt pleine, tantôt vuide d’argent, la baguette ne nous trompa jamais, &c. ».

M. le lieutenant-général avoit été volé par un de ſes laquais, qui lui avoit pris environ vingt-cinq écus dans des cabinets qui étoient derrière ſa bibliothèque, Aymar fit tourner ſa baguette, connut préciſément le lieu, le bureau & le tiroir dans lequel le vol avoit été fait, ainſi que la chambre & le lit de ce domeſtique.

Le cinq juillet 1692, à dix heures du ſoir, un vendeur de vin & ſa femme furent égorgés à Lyon, dans une cave : on ne put découvrir ni ſoupçonner les auteurs du crime. Jacques Aymar annonça qu’il pourroit trouver les coupables, pourvu qu’il commençât à prendre ſon impreſſion dans l’endroit où le meurtre avoit été commis. À peine fut-il entré, que ſon pouls s’émut comme dans une fièvre aigue, & qu’il tomba en défaillance ſur le lieu où l’on avoit trouvé les cadavres de la femme & du mari. Sa baguette y tournoit avec rapidité. Guidé par une ſenſation intérieure, diſent les relations du temps, Aymar ſuivit les rues les aſſaſſins avoient paſſé, entra dans la cour de l’archevêché, & ſortit de la ville par le pont du Rhône. Arrivé à la maiſon d’un jardinier, il ſoutint que les meurtriers étoient au nombre de trois & y avoient bu du vin ; deux enfans avouèrent en effet que pendant une abſence de leur père, trois hommes étoient venus dans la maiſon, & avoient bu du vin de cette bouteille que la baguette avoit indiqué. Jacques Aymar ſuivant après leur trace, dit reconnoître leur gîte, les lits où ils avoient couché & les verres dont ils avoient fait uſage. Arrivé, à Beaucaire, il s’arrêta devant la porte d’une priſon, il aſſura que l’un des coupables devoit y être renfermé. On ouvrit, & pluſieurs priſonniers lui furent préſentés : mais à l’aſpect d’un boſſu, il éprouva une ſueur abondante, & la baguette déſigna cet homme pour l’un des complices. Aymar voulut chercher les autres ; il découvrit, qu’ils avoient pris le chemin de Nîmes ; mais il ne les ſuivit pas plus loin.

Jacques Aymar étoit un homme ruſé, qui jugeoit aſſez bien, en voyant les circonſtances locales & en prenant divers renſeignemens, de la manière dont les choses avoient pu ſe paſſer.

Le boſſu, transféré à Lyon, nia d’abord d’avoir connoiſſance du meurtre, & même d’avoir été à Lyon ; mais confondu ſur la route par les hôtes qui lui ſoutenoient qu’il avoit logé chez eux en deſcendant par le Rhône, il avoua, lorſqu’il fut à Bagnols, qu’il étoit coupable. Aymar alla enſuite juſqu’à Toulon, à la pourſuite des deux autres complices qu’il dit s’être embarqués, & il ceſſa ſes recherches. Le procès du boſſu s’inſtruiſit pendant ce temps ; & d’après les informations & les aveux du coupable, qui parurent juſtifier les démarches indiquées par la baguette, il fut exécuté le 30 août 1692. Relat. de la garde ; Broſſet, Hift. de Lyon ; philos. Corpusc., &c.

La réputation de Jacques Aymar ſe répandit enſuite prodigieuſement dans pluſieurs autres provinces, où il employa les mêmes procédés divinatoires dans différentes circonſtances. Il fut enſuite mandé à Paris, où il échoua complettement. La preuve en eſt dans la lettre ſuivante d’un témoin oculaire, laquelle parut dans le temps, ſans aucune réclamation, & qu’on peut voir dans la collection académique, tome VI, pag. 252 & 253. Il eſt à propos de la faire connoître dans un ouvrage de la nature de celui-ci.

« M. le prince ayant fait venir à Paris Jacques Aymar, pour s’aſſurer par ſes propres yeux de l’effet de la baguette, il alla lui-même avec ce payſan dans un endroit de la rue S. Denis, où