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BAL
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498 livres d’acide vitriolique à 46 degrés de concentration.

Le 26 août 1783, on acheva de remplir d’air inflammable le ballon qui pendant la nuit avoit perdu du gaz, ſoit par des pores imperceptibles, ſoit par des trous d’aiguilles que la gomme élaſtique n’avoit pas entièrement bouchés. Dès huit heures du matin, on ſortit le ballon de ſon harnois, on l’attacha à de petites cordes, & on eut le plaiſir de le voir s’élever à plus de 100 pieds.

Une nombreuſe populace accourut auſſi-tôt de toute part ; la place des Victoires fut couverte de monde, & la ſurpriſe des perſonnes qui n’étoient pas prévenues fut extrême, en voyant dans les airs un corps du diamètre de douze pieds 2 pouces. Le vent, qui ſurvint pouvant le fatiguer, on le retira pour le remettre à ſa première place, dans la cour de la maiſon de M. Charles, profeſſeur de phyſique, où étoit ſon établiſſement ; & il eut ce jour-là une ſi grande quantité de viſites, qu’une garde du guet à pied & à cheval, établie à la porte, ne pût jamais retenir l’affluence du monde, & qu’il fallut ſe déterminer à laiſſer les portes ouvertes pour ſatisfaire la curioſité & l’empreſſement du public.

Tranſporté ſur la place des Victoires, il fut dépoſé ſur un brancard diſpoſé pour le recevoir : les mêmes liſières qui le retenoient ſuſpendu dans la cour, le rendirent ſtable, & il entra en marche. « Rien ne fut ſi ſingulier que de voir ce ballon ainſi porté, précédé de torches allumées, entouré d’un cortége, & eſcorté par un détachement du guet à pied & à cheval. Cette marche nocturne, la forme & la capacité du corps qu’on portoit avec tant de pompe & de précaution ; le ſilence qui régnoit, l’heure indue, tout tendoit à répandre ſur cette opération une ſingularité & un myſtère véritablement faits pour en impoſer à tous ceux qui n’avoient pas été prévenus. Auſſi les cochers de fiacre qui ſe trouvèrent ſur la route, en furent ſi frappés, que leur premier mouvement fut d’arrêter leurs voitures, & de ſe proſterner humblement, chapeau bas, pendant tout le temps qu’on défiloit devant eux ».

Enfin le ballon, après une courſe de 1 700 toiſes, arriva à l’École Militaire, où il fut dépoſé au milieu du Champ-de-Mars, dans une enceinte diſpoſée pour le recevoir : les liſières qui l’enveloppoient ſervirent à le retenir en place, au moyen de petites cordes fixées vers le méridien du globe, & qui furent arrêtées dans des anneaux de fer plantés en terre. Dès l’inſtant où le jour parut, l’on s’occupa à faire du gaz inflammable pour achever de remplir le ballon. L’activité qu’on mit dans ce travail, fut telle, qu’à midi il étoit aſſez plein pour avoir une belle forme, & qu’il falloit peu de temps pour qu’il fut rempli au point néceſſaire ; mais l’on réſerva au public le reſte de l’opération, pour lui donner une idée de la manière dont on produiſoit le gaz.

« Le Champ-de-Mars étoit garni de troupes, les avenues étoient gardées de tout côté ; les ordres étoient donnés pour faciliter la marche des voitures, & prévenir les accidens. À trois heures, l’on vit le Champ de Mars ſe couvrir de monde ; les carroſſes arrivoient de toute part, & bientôt ils ne purent aller qu’à la file. Les bords de la rivière, le chemin de Verſailles, l’amphithéâtre de Paſſy, étoient garnis d’une foule immenſe de ſpectateurs. L’hôtel de l’École Militaire & le Champ de Mars renfermoient la plus ſuperbe & la plus nombreuſe aſſemblée. À cinq heures, le 27 août 1783, un coup de canon fut le ſignal qui annonça que l’expérience alloit commencer ; il ſervit en même temps d’avertiſſement pour les ſavans placés ſur la terraſſe du garde-meuble de la couronne, ſur les tours de Notre-Dame & à l’École Militaire, & qui devoient appliquer les inſtrumens & les calculs à leur obſervation. Le globe dépouillé des liens qui le retenoient, s’éleva à la grande ſurprise des ſpectateurs, avec une telle vîteſſe qu’il fut porté en deux minutes à 488 toiſes de hauteur ; là, il trouva un nuage obſcur dans lequel il ſe perdit ; un ſecond coup de canon annonça ſa diſparition, mais on le vit bientôt percer la nue, reparoître un inſtant à une très-grande élévation, & s’éclipſer dans d’autres nuages. La pluie violente qui ſurvint au moment où le globe s’élevoit, ne l’empêcha pas de monter avec une extrême rapidité ; & l’expérience eut le plus grand ſuccès, elle étonna tout le monde. L’idée qu’un corps parti de terre, voyageoit dans l’eſpace, avoit quelque choſe de ſi admirable & de ſi ſublime, elle paroiſſoit ſi fort s’écarter des loix ordinaires, que tous les ſpectateurs ne purent ſe défendre d’une impreſſion qui tenoit de l’enthouſiaſme. La ſatisfaction étoit ſi grande, que les dames, élégamment vêtues, les yeux dirigés ſur le globe, recevoient la pluie la plus forte & la plus abondante, ſans ſe déranger, s’occuppant beaucoup plus alors de voir un fait auſſi ſurprenant, que du ſoin de ſe garantir de l’orage.

Ce ballon ne ſe ſoutint tout au plus que trois quarts d’heure en l’air, & tomba à cinq heures trois quarts, à côté de la remiſe d’Ecouen, ayant une ouverture ſur ſa partie ſupérieure. Il fut ramaſſé par des payſans de Goneſſe, qui le traînèrent à travers les champs pendant un mille, & le mirent dans le plus mauvais état. L’on compte environ cinq lieues du point de ſon départ à celui de la chute, c’est-à-dire, du Champ de Mars, à Ecouen. Ce furent MM. Robert, mécaniciens, qui avoient été chargés de conſtruire le globe, & M. Charles, profeſſeur de phyſique, du ſoin de veiller à leurs travaux.