gondole a été recouverte de verglas, & j’ai ſenti des glaçons & de la neige ſe dépoſer ſur moi, & ſur-tout dans le fond de ma nacelle ; cette neige a été pluſieurs fois aſſez abondante pour que j’aie pu en ramaſſer à poignée & la jeter dehors ; j’ai regretté alors mon manteau, que les habitans de Montmorenci m’avoient pris.
» En ſortant des nuages neigeux, je me trouvois inſtantanément plongé dans d’autres, qui me faiſoient reſſentir l’impreſſion de la pluie & une froidure moins vives, & bientôt après j’étois encore enlevé dans les premiers. C’eſt dans ce mouvement continuel d’aſcenſion & d’abaiſſement que j’ai paſſé les trois heures qu’a duré l’orage. J’ai attribué ce mouvement à une attraction & répulſion électrique, provenant des divers états de ces deux eſpèces de nuage ; une pointe, que j’avois placée ſur l’un des bords de la gondole, me faisoit voir une aigrette lumineuſe lorſque je deſcendois dans les nuages de pluie ; je voyois, au contraire, un point lumineux, lorſque j’étois enlevé dans les nuages de neige : l’extrémité de mes doigts me montroit en partie le même phénomène ; mon drapeau, qui portoit les armes de France en or, étoit habituellement ſcintillant de lumière.
» Le mouvement rapide haut & bas qui m’emportoit, me faiſoit décrire des courbes. Je ne peux pas bien dire poſitivement ſi c’étoit des circonférences de cercle que je traçois, ou bien ſeulement une ligne d’ondulation dont on peut prendre une idée par celle de la ſurface d’une mer agitée par un vent unique. Quoi qu’il en ſoit, il eſt très-certain que j’ai été agité par l’un de ces deux mouvemens, ou peut-être par tous les deux, & je crois l’avoir été plutôt par le premier ; j’en ai jugé par l’inclination très-forte de ma gondole, tantôt dans un ſens & tantôt dans un autre, qui avoit lieu en même temps que je me ſentois enlever & deſcendre, & cette inclination étoit telle qu’étant debout, je craignis d’être jeté hors du bateau, & je m’étendis dans le fond pour éviter ce danger. Au reſte, l’un & l’autre de ces deux mouvemens ſont très-faciles à concevoir ; celui de rotation perpendiculaire aura été produit par deux directions de vent, qui ont pu avoir lieu en même temps que j’étois mû haut & bas par l’électricité ; & le mouvement d’ondulation ſeroit le réſultat de ceux de l’attraction & répulſion dans un courant de vent unique ; je n’avois pas les moyens d’évaluer préciſément des mouvemens pareils, difficiles à reconnoître par cela même que j’en étois emporté, & que je leur obéiſſois ſans réſiſtance. Mais on peut obſerver encore l’obſcurité & toutes les autres circonſtances qui influoient ſur moi.
» Pendant que j’éprouvois ce roulis d’un nouveau genre, le tonnerre ſe faiſoit continuellement entendre à côté de moi ; le ſon grave de ce météore étoit très-fort, mais très-court ; il étoit précédé & ſuivi par un bruit de ſifflement ou de déchirement dont on peut ſe faire une idée quand on a entendu celui que produit ſon paſſage ſur la corde d’un cerf-volant électrique. La vivacité du bruit & de l’étincelle me fatiguèrent d’une manière étonnante, & m’obligèrent à me couvrir les yeux & les oreilles : j’attendis ainſi la fin de l’orage, les ſoupapes de mon ballon bien fermées ; je n’aurois pu deſcendre qu’en laiſſant échapper du gaz ; mais le tonnerre qui circuloit ſans ceſſe autour de moi, & qui perça mon drapeau, auroit pu faire détonner à l’inſtant mon ballon, dont le gaz étoit, comme je l’ai dit, mélangé d’air atmoſphérique ; d’ailleurs il ne me convenoit ni de monter, ni de deſcendre ; j’étois moins expoſé dans le nuage que je n’avois été au-deſſus ou au-deſſous, parce que le nuage faiſoit lui-même l’office de paratonnerre, indépendamment de mon filet mouillé, qui tranſmettoit l’électricité, & l’empêchoit auſſi d’endommager le ballon.
» Enfin un calme parfait ſuccéda à cet orage, le plus violent que j’aie éprouvé de ma vie. Je vis les étoiles, & je profitai du repos bien agréable que je goutai alors, pour prendre quelques alimens ; le jour parut à deux heures & demie ; alors n’ayant plus que cinq lives de leſt, mon ballon s’étant ſéché, & me trouvant à une très-grande hauteur, d’où je ne voyois pas la terre, je réſolus de deſcendre pour ſavoir où j’étois, & c’eſt ce que je fis à quatre heures moins un quart, après avoir vu lever le ſoleil ».
Des payſans accoururent alors vers l’aéronaute, l’inſtruiſirent de l’endroit où il étoit, les environs du village de Campremi, diſtant de Paris de 25 lieues ; on dreſſa enſuite procès verbal ; le vent ayant changé, M. Teſtu eſpéroit de revenir à Paris en ballon ; mais les payſans qui le remorquoient ayant accroché l’aéroſtat à l’angle d’un toit, il en réſulta une ouverture, par laquelle une quantité de gaz s’échappa. L’obſervateur finit ſa relation, en diſant que ſon ballon & ſes habits avoient conſervé une violente odeur de ſoufre, & qu’en arrivant à terre, il ſe trouva ſourd en quelque ſorte, ce qui dura pendant quelques heures. Ce récit n’ayant pas été imprimé dans notre Journal de la nature conſidérée, & contenant des détails curieux, nous avons jugé à propos de l’inſérer dans cet article.
17o Nous ne parlerons point ici du ballon aéroſtatique du Luxembourg, qui ne put être élevé, & qui trompa les eſpérances d’un peuple nombreux ; la critique la plus amère s’eſt exercée ſur les conſtructeurs, MM. Miolan & Janinet ; mais tant d’accidens peuvent éloigner le ſuccès dans ce genre, qu’ils méritoient de l’indulgence. Cet aéroſtat, qu’on ſe propoſoit d’élever par le moyen du feu, avoit ſoixante & dix pieds de diamètre.