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BAL
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qui fut fait à deſſein. Mais à la hauteur de 450 toiſes, où le ballon ſe trouva, la dilatation fut telle que le ballon fut rempli en entier, & que le gaz avoit encore une force d’expanſion très-ſenſible. « Pour éviter de laiſſer échapper du gaz, j’agitai mes rames pour deſcendre, dit cet aéronaute, & je deſcendis en effet dans la région des nuages. Ayant ceſſé de les mouvoir un inſtant, je remontai bientôt, & la dilatation ne parut pas pendant l’eſpace de trois minutes ; la même choſe m’arriva pluſieurs fois ; mais enfin craignant ou la déperdition du gaz, ou la rupture du ballon, devenu de plus en plus ſec & léger, je me décidai à aller prendre du leſt ; & après un travail pénible & ſuivi de mes rames, je deſcendis en effet dans la plaine de Montmorenci, à cinq heures vingt-ſix minutes ».

Sans ſortir de ſa nacelle, M. Teſtu ramaſſa quelques pierres. Un grand nombre de curieux qui étoient accourus, l’empêchèrent de s’enlever, le ſaiſirent par les aîles, par les cordes qui ſupportoient le bateau ; on tira même celle de la ſoupape, d’où il en réſulta une perte de gaz inflammable. « Le propriétaire du champ arriva auſſi avec d’autres paysans ; ils vouloient me faire payer les dommages que les curieux avoient fait au blé, & dans cette vue ils me traînoient par la gondole. Ne pouvant leur réſiſter de force, je tentai de leur échapper par adreſſe. Je leur propoſai de conduire par-tout où ils voudroient, en me remorquant avec une corde ; l’abandon que je fis de mes aîles brisées & devenues inutiles, perſuada que je ne pouvois plus m’envoler ; vingt perſonnes ſe lièrent à cette corde en la paſſant autour de leur corps ; le ballon s’éleva d’une vingtaine de pieds, & j’étois ainſi traîné vers le village. Ce fut alors que je peſai mon leſt, & après avoir reconnu que j’avois encore beaucoup de légèreté ſpécifique, je coupai la corde, & je pris congé de mes villageois, dont les exclamations d’étonnement me divertirent, lorſque la corde par laquelle ils croyoient me retenir leur tomba ſur le nez ».

« La hauteur à laquelle je me ſuis élevé en quittant Montmorenci eſt celle des nuages ; d’abord l’œil en fut dépourvu, & je n’en voyois qu’à l’horiſon ; mais la vîteſſe avec laquelle j’étois emporté, me fit bientôt trouver au milieu d’eux. J’y obſervai une ſorte de congélation en lames rondes très-minces, qui reſſembloient à des paillettes, & qui nageoient en l’air : il en vint pluſieurs ſe dépoſer ſur le verre de ma bouſſole ; je me vis ſous un nuage chargé d’électricité, & dans lequel le tonnerre grondooit ; la fraîcheur du ſoir qui augmentoit de plus en plus, m’abaiſſa entièrement aux environs de l’abbaye de Royaumont, à ſix heures quarante-cinq minutes.

» Je ne touchai cependant pas la terre ; je me ſoutins à quelque diſtance du ſol. En jetant un peu de leſt, je ſuivois en remontant la rivière d’Oiſe, & je m’apperçus que ma direction n’étoit plus celle que j’avois eue juſqu’alors ; la ligne de ma route, depuis Paris, avoit été celle du ſud ; & quoiqu’il m’eût paru que le vent qui ſouffloit lors de mon départ fut celui du ſud, la nouvelle direction dans laquelle j’étois emporté, étoit à peu-près celle d’un vent de ſud-oueſt.

» Douze minutes après je jetai du leſt, & je m’élevai à la hauteur de 374 toiſes, le thermomètre marqua à cette élévation 15 degrés, & l’hygromètre 45. Je vis une portion de l’arc-en-ciel renverſé ; chemin faiſant je fis une expérience pourn conſtater ſi les corps gravitoient à raiſon de leur denſité ; ce fut de jeter une bouteille remplie d’eau, le gouleau étant vertical ; l’eau en ſortit avec ſifflement, parce que la bouteille l’abandonna, ſa chute étant plus rapide que celle de l’eau. J’ai eu l’honneur de communiquer verbalement cette expérience à l’académie royale des Sciences.

» Quelque temps après j’entendis donner du cors, & je vis des chaſſeurs, quoique je fuſſe à la hauteur des nuages. Je les vis à la vue ſimple, & je les ſuivis auſſi avec ma lunette. Le déſir de voir la chaſſe m’engagea à ouvrir un inſtant la ſoupape du ballon pour me rapprocher d’eux ; je n’avois plus d’autre moyen pour deſcendre ; mais le ballon alloit plus vîte que les chevaux ; c’étoit auprès de Fitz James ; à huit heures, je deſcendis juſqu’à terre entre Étouen & Vareville, pour prendre du leſt en échange du ſupport de mes rames ». Les chaſſeurs vinrent à bride abattue, & inſtruiſirent l’aéronaute du lieu où il étoit.

« En m’élevant, continue M. Testu, je paſſai à travers des nuages dans leſquels les éclairs & le tonnerre ſe ſuccédoient rapidement. Le thermomètre y marqua 5 degrés ſous glace, mais il reprit bientôt le terme qu’il avoit auparavant, celui de 15 lignes. Lorſque j’eus dépaſſé l’orage, je m’élevai alors plus haut que je n’avois fait encore, mon baromètre m’indiqua 478 toiſes, & je crois même avoir été au-delà. Je voyageai dans cette région juſqu’à neuf heures & demie ; ce fut alors que je vis coucher le ſoleil, & tout de ſuite après je perdis de ma hauteur ; le crépuſcule fut très-court pour moi ; je fus bientôt plongé dans la maſſe des nuages orageux dont j’ai parlé, & dans l’obſcurité la plus profonde, obſcurité qui n’étoit interrompue que par les éclairs de l’orage dans le centre duquel je me voyois ».

« J’ai paſſé plus de trois heures dans le ſein de cet orage, & voici ce que j’ai éprouvé. Je me ſuis trouvé dans des nuages froids & neigeux, dans leſquels mon thermomètre, que j’ai vu au moyen d’un phoſphore, marquoit cinq degrés. Alors ma