Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/529

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connoîtra juſqu’à quel point ſa dureté augmentera ; il verra ſi de l’eau s’y gelera ; ſi des vapeurs qu’il formera de différentes manières, ſe métamorphoſeront en neige ; la nature des halo ou couronnes, des parhélies, des paraſelènes, lui ſera devoilée. M. de Morveau étant ſur l’aéroſtat de Dijon, a vu des parhélies. L’arc-en-ciel ne ſera plus un arc mais un cercle entier orné des plus brillantes couleurs, ou plutôt un aſſemblage de pluſieurs cercles concentriques, dont rien n’égalera la magnificence.

Si ce phyſicien aéroſtatique eſt armé d’un priſme pour décompoſer la lumière, quel ſuccès n’auront pas ſes expériences, puiſque l’air qui en ſera le théâtre, dégagé d’une infinité de vapeur & d’exhalaiſons qui le vicient, aura toute la pureté déſirable, & que nul obſtacle ne s’oppoſant à la réuſſite de l’expérience, les réſultats auront toute l’étendue & toute la certitude qu’on pourroit déſirer. Quelle ſatisfaction ſur-tout s’il porte une chambre obſcure, ou d’autres machines de ce genre, faites avec des verres convenables, il pourra, à une hauteur proportionnée, voir une plus grande étendue de terrein qu’on n’en aperçoit communément, & il n’aura rien à envier à ces animaux altiers qui fixent l’aſtre du jour, qui fendent les plaines de l’air, & qui, planant au-deſſus de nos têtes, jouiſſent pleinement de ce coup-d’œil qui embraſſe une immenſité d’objets, & que l’indigence de notre langue ne nous permet de déſigner que par le mot de vue d’oiſeaux. De là, combien la perſpective n’en tirera-t-elle pas d’avantages ; &, oſons le dire, la Topographie, la Corographie, & la Géographie en général, en recevront une utilité qu’il eſt plus facile d’apercevoir que d’expoſer. Le navigateur aéroſtatique, plus heureux que les pilotes qui jettent la ſonde, & jugent de la nature des fonds par celle des ſables qu’ils en retirent, pourra lire au fond de l’air & ſur la ſurface de la terre, la nature des ſubſtances qui ſont au-deſſous de lui. Sa vue, au moins armée de ces inſtrumens que fournit l’optique,  d’une lunette ou d’un téleſcope, pourra connoître les pays de montagnes & ceux de plaine ; l’étendue des marais, les ſinuoſités des rivières & des fleuves, l’élévation & les chaînes des montagnes, le nombre des forêts & celui des villes, & tout ce qui couvre la ſurface de la partie du globe au-deſſus de laquelle il eſt élevé.

Ces réflexions nous conduiſent à d’autres d’un genre différent, & qui ſont des conſéquences des premières ; c’eſt que le globe aéroſtatique ſera très-utile dans une armée pour découvrir la poſition de celle de l’ennemi, ſes manœuvres, ſes marches, ſes diſpoſitions, & les annoncer par des ſignaux : il en ſera de même en mer. Ceci n’eſt plus une ſimple conjecture, mais un fait de la dernière certitude. M. Giroud de Villette ayant été élevé en un quart de minute le 19 octobre avec M. Pilate de Rozier, à 400 pieds environ au-deſſus de la terre, par le moyen de la machine aéroſtatique de M. de Montgolfier, diſtingua très-bien les boulevards, depuis la porte Saint-Antoine juſqu’à celle de Saint-Martin, tous couverts d’une multitude innombrable de perſonnes, qui paroiſſoient former une plate bande allongée de fleurs variées ; il découvrit en même temps la butte de Montmartre, Neuilli, Saint-Cloud, Sève, Iſſy, Ivri, Charenton, Choiſi, &c.

L’art de la guerre en retirera des avantages d’un genre ineſpéré juſqu’à ce jour : la juſtice exige de dire que toutes les idées qu’on a eues à ce ſujet, ſont dues à MM. de Montgolfier. Ils m’ont aſſuré qu’ils auroient pu jeter des hommes dans Gibraltar ; & on doit convenir, d’après les brillantes expériences, dont les papiers publics nous ont entretenu, qu’il n’eſt point de place, quelle que ſoit ſa poſition, ſes moyens de défenſe, ſes forces, &c., dans laquelle on ne puiſſe faire paſſer pluſieurs hommes, au moins à différentes repriſes. Quel moyen efficace oppoſeroit-on ? Il n’en eſt aucun parmi ceux qu’on pourroit croire être tels, qu’un examen ordinaire ne démontre très-impuiſſant. Quelle difficulté pour pointer le canon contre un globe aérien, élevé preſqu’au zénith de la batterie, & qui d’ailleurs a la faculté de s’élever, de s’abaiſſer à ſon gré, de marcher au milieu des ombres de la nuit ; quoi qu’il en ſoit, ce moyen de jeter des ennemis dans des places aſſiégées, eſt de tous ceux qu’on a tentés juſqu’ici, celui auquel il eſt plus difficile d’oppoſer des obſtacles aſſurés. On peut encore très-facilement faire ſortir d’une place aſſiégée, des perſonnages importans, ſoit pour éviter qu’ils ne ſoient priſonniers, ſoit pour donner des avis eſſentiels à leurs alliés. Oſeroit-on douter qu’un militaire hardi, monté ſur un globe aéroſtatique, & muni de différentes pièces d’artifice, ne puiſſe mettre le feu à des magaſins à poudre ou à des vaiſſeaux, qui contiennent les uns & les autres tant de matières infiniment combuſtibles ? Ce moyen n’eſt-il pas le plus redoutable de ceux que l’art infernal de détruire les hommes ait inventés. Et que peut-on oppoſer à ce guerrier porté ſur l’aîle des vents, qui du haut du ſéjour des airs, lance le feu & la flamme ſur les vaiſſeaux & ſur les magaſins à poudre ?

On ſait combien l’art des ſignaux eſt utile à la guerre, ſoit ſur terre, ſoit ſur mer ; la diſtance des lieux où on voudroit les faire parvenir, eſt quelquefois ſi grande dans certaines circonſtances, que les moyens ordinaires ne ſuffiſent pas. Souvent le ſort d’une ville, celui d’une armée, &c., dépendent d’un ſignal qu’on apercevra ; l’hiſtoire de tous les temps, & ſur-tout celle de nos jours, ne l’ont que trop prouvé. Pour cet effet, on ſuſpendra aux aéroſtats divers artifices, dont les mèches devront durer plus ou moins de temps, afin qu’ils