Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/629

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Malgré le ſuffrage de ces deux habiles opticiens, les lunettes ſimples ont long-temps prévalu, ſoit à cauſe de la difficulté de faire les binocles, ſoit à cauſe de l’embarras de s’en ſervir. C’est ainſi qu’Hartſœker & quelques autres ont penſé. Mais ces inconvéniens ne ſont pas auſſi grands qu’on l’a penſé, plutôt par l’effet des préjugés que d’après des eſſais ; ceux qui ont éprouvé cet inſtrument, ont convenu qu’on ſe fait très-aisément à l’uſage d’un binocle, & qu’au moyen de ſupports commodes on peut ſuivre facilement un aſtre, même aſſez longtemps. M. Le Gentil, aſtronome de Paris, qui a fait sur ce ſujet un mémoire, qu’on trouve dans ceux de l’académie des Sciences, & d’où nous tirons la plus grande partie de cet article ; M. Le Gentil aſſure qu’il a remarqué que le binocle ne fatiguoit nullement les yeux. « Il ſemble bien plutôt, dit-il, qu’il ſoit fait pour les repoſer ; au lieu qu’une lunette ſeule les fatigue conſidérablement, étant l’un & l’autre dans une eſpèce d’état de contrainte ; le gauche, parce qu’on eſt forcé de le tenir continuellement fermé ; le droit, parce qu’on eſt contraint de le tenir ouvert, & dans une tenſion la plus forte qu’il eſt poſſible ». C’eſt ce que tous les obſervateurs éprouvent.

M. Le Gentil a penſé qu’il étoit à propos, non ſeulement de répéter les expériences déjà faites, mais encore de les pouſſer plus loin, & de plus de tenter de ſavoir ſi on voyoit des deux yeux beaucoup mieux qu’avec un ſeul, & avec une lumière double, comme ſemblent le dire la forme du nerf optique, & la conſtruction des deux yeux, telles qu’on les trouve dans le traité de Deſcartes & celui d’Hartſœker ſur la dioptrique & la viſion. Ayant en ſa poſſeſſion l’héliomètre de M. Bouguer, compoſé de deux objectifs de 12 pieds de foyer chacun, & l’ouverture de 13 lignes, M. Le Gentil fit conſtruire deux tuyaux de 12 pieds de longueur ſur une monture convenable, auxquels il appliqua ces objectifs avec des oculaires de trois pouces de foyer, qui ne groſſiſſaient que quarante-huit fois, comme avec l’héliomètre, & il vit avec ſatisfaction l’effet de ce binocle, même ſur les objets terreſtres ; il regarda d’abord le dôme du Val-de-Grâce avec chaque lunette ſéparément pour les mettre à leur point, puis avec les deux yeux, & ce fut alors qu’il fut ſingulièrement affecté de la forte impreſſion qu’il reçut en regardant la boule & la croix qui terminent ce dôme. « Le beau champ de la lunette, la groſſeur apparente de l’objet, ſa netteté par comparaiſon avec ce que je voyois en ne regardant qu’avec une ſeule lunette, ne me donnèrent aucun lieu de douter qu’on ne voie des deux yeux, & beaucoup mieux qu’en obſervant avec un ſeul. J’obſervai enſuite le ſoleil & ſes taches, en choiſiſſant pour cet effet un beau jour : c’étoit dans le mois d’août. On doit s’attendre que le ſoleil me fit la plus vive impreſſion ». Juſques-là il n’avoit fait uſage que d’un foible groſſiſſement ; mais jugeant que la grande quantité de lumière qu’il recevoit pouvoit lui permettre d’employer des oculaires de deux pouces au lieu de trois, il en fit faire quatre de quatre pouces de foyer chacun, & les ayant ajuſtés à la place des autres, ils augmentèrent le groſſiſſement, & de 48 le portèrent à 72. Ce nouveau binocle parut faire encore plus d’effet ſur le ſoleil ; mais en regardant la lune, il s’apperçut qu’elle ètoit mal terminée, & conſéquemment que puiſqu’il trouvoit une image bien diſtincte, il falloit qu’un de ſes deux objectifs ne valût rien avec un fort groſſiſſement ; ce qui prouvoit la difficulté à réuſſir à faire deux objectifs d’un long foyer parfaitement ſemblables & également bons ; car ces deux verres avoient été travaillés par un excellent artiſte.

Les choſes en étoient à ce point, lorſqu’il s’adreſſa au R. P. Gaudibert, dominicain de Paris, habile opticien, qui lui donna deux objectifs ſuperbes & excellens, qu’il avoit travaillés à la main & ayant 22 lignes chacun d’ouverture. Perſonne, depuis Campani, n’avoit fait des verres de cette eſpèce avec tant d’ouverture & ſi parfaitement bons. Le P. Gaudibert enchâſſa ces objectifs dans des bouts de tuyau de cuivre, les tourna & les ſerti. Ce nouveau binocle, qui ſupportoit aiſément des oculaires de 17 à 18 lignes de foyer, groſſiſſait 98 à 99 fois avec la plus grande netteté & la plus grande clarté ; on vit Jupiter parfaitement terminé, ſes bandes & pareillement ſes ſatellites très-brillans. En regardant le ſoleil avec ce binocle, M. Le Gentil obſerva pluſieurs fois qu’en ſéparant ou détachant les deux images, ce qu’il faiſoit en écartant un peu les tuyaux les uns des autres du côté des oculaires, il voyoit en effet ces deux images dont l’une débordoit l’autre ; elles lui paroiſſoient égales en intenſité, & dans l’état à peu près qu’il les voyoit lorſqu’il les regardoit ſéparément avec une ſeule lunette ; mais lorſqu’au moyen de la vis, ſans éloigner les yeux du binocle, il parvenoit à réunir les deux images en une ſeule, il éprouvoit dans cet inſtant de réunion une impreſſion ou ſenſation ſubite & ſingulière d’augmentation de lumière, de clarté, de netteté, & même de groſſiſſement apparent tout à la fois, qui produiſoient dans ſes deux yeux l’effet d’une eſpèce d’éclair ſubit auquel on ne s’attend pas. C’eſt ce qui acheva de le convaincre que la viſion étoit beaucoup plus parfaite en ſe ſervant de ſes deux yeux qu’en ne regardant qu’avec un ſeul. M. Le Gentil a fait avec ce binocle pluſieurs autres obſervations qui lui ont également bien réuſſi.

On peut perfectionner cet inſtrument en le faiſant achromatique. Voyez Lunettes.

BIO


BION. La vie d’un artiſte eſt comme celle d’un ſavant, peu remplie de ces événemens qui excitent la curioſité ; elle n’eſt ordinairement qu’une ſuite