Page:Encyclopédie moderne - 1823, T01.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ABU 101


révolution a eu lieu. C’était encore les abus qu’il fallait détruire, et le peuple a encore abusé de ses droits et de sa liberté.

Cependant quel temps fui plus favorable pour la raison et la philosophie ? Le fanatisme avait cessé, la superstition était éteinte ; plusieurs rois tendaient aux peuples une main magnanime, et leur disaient eux-mêmes : « Vous » avez aussi des droits. » La noblesse, impuissante et désarmée, ne pouvait plus nuire. On n’a point été satisfait. Ce qu’on devait obtenir par la justice, on a voulu le conquérir par la force. Sous prétexte de poser des limites au pouvoir, le peuple a pris un pouvoir sans limites.

Puisqu’il est vrai que l’exemple de l’histoire ne nous a point servi, profitons du moins de notre propre expérience. Sachons bien, et gardons-nous d’oublier, qu’un mal quelconque n’est pas plus à craindre qu’un bien dont on abuse. Certes la religion, si consolante et si douce au cœur des hommes ; la royauté, maintenue dans les limites qu’impose le bien public, protégeant tous les citoyens et n’opprimant personne ; la noblesse, servant d’intermédiaire entre le trône et le peuple, assez forte pour comprimer l’arbitraire, et trop faible pour tyranniser à son tour : toutes ces choses non seulement sont compatibles avec le bonheur des nations, mais peuvent encore fonder leur repos et assurer leur puissance. Mais j’ai dit ce qu’il en avait été jusqu’à notre temps ; j’ai dit aussi où conduisait l’abus des forces populaires. Que faut-il en conclure ? que même dans tout ce qui est juste et bon la modération est nécessaire. Nous sommes à l’époque du patriotisme et de la philosophie. Ces deux vertus ont aussi leurs abus. La première peut conduire à l’égoïsme national, qui n’atlache à la patrie qu’en isolant du reste de l’humanité ; l’autre, ennemie de l’intolérance, doit se garder de l’imiter dans ses fureurs, et se rappeler sans cesse que certains hommes, s’ils ne sont pas plus que les autres, sont du moins autant qu’eux et ont droit aux mêmes égards.