Page:Encyclopédie moderne ou Bibliothèque, 2e éd., T01.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

58 ABS


moment qu’ils sont enregistrés, et leur nombre est nécessairement connu. Pour qu’un fait naturel puisse devenir un fait intellectuel, il faut donc que le nombre des circonstances qui l’environnent soit donné et déterminé, que ces circonstances soient invariables ou du moins que leur variation puisse être appréciée, que le degré d’intensité de leur action soit susceptible d’être évalué, et que chacun de ces éléments puisse être amené à un tel état de simplicité qu’il soit représenté par des signes invariables. Alors en opérant sur les signes, on opère sur les faits, et l’on arrive à des résultats constants, absolus, et d’une évidence incontestable. Ainsi, considérant les corps comme des unités, nous les soumettons au calcul arithmétique ; les considérant dans leurs dimensions, nous en tirons les constructions géométriques, les degrés du mouvement et ses directions nous donnent la mécanique ; le mouvement et les inflexions de la lumière, l’optique ; la propagation et l’intensité du son, l’acoustique ; l’indication des événements d’après un nombre de causes connu, le calcul des probabilités. Les faits qui se dérobent au contraire à la fixité de l’attention, et qui ne peuvent se prêter à une détermination exacte de signes, ne sauraient passer entièrement du domaine de la nature dans celui de l’esprit ; ils ne sauraient tous être évalués en idées précises et déterminées. Ceux-ci ont pour fondement l’analogie, comme dans les sciences morales et politiques et dans presque toutes les branches des sciences physiques, ceux-là ont pour fondement l’abstraction. La limite qui sépare les sciences abstraites des sciences analogiques, est donc profondément tracée. Leur identité ne pourrait être que dans une combinaison artificielle de signes, qui, ne pénétrant point au fond des choses, offrirait la précision et la liaison dans les mots et nullement dans les idées. Ce serait l’erreur des esprits forts et méditatifs, habiles à manier le raisonnement. C’est celle de Hobbes, de Condillac, de Condorcet.

Un écueil d’un autre genre attend le métaphysicien : s’il se livre aux recherches physiques, rarement il séparera les phénomènes de la pensée de l’activité des organes, et le sentiment physique du sentiment moral. S’il se plait aux opérations et aux combinaisons de signes, il voudra ramener au langage tous les procédés de l’entendement. S’il est préoccupé de l’indépendance de la pensée, il s’efforcera de l’affranchir des organes de la sensibilité, et n’attachera de réalité qu’aux phénomènes du moi intérieur. Il abstraira et coordonnera ses abstractions selon la diversité de ses études. Il ne méconnaîtra point toutefois l’existence distincte de la sensibilité organique, de la sensibilité morale, de l’intelligence, du langage ; mais il s’efforcera de résoudre ces principes en un principe unique, selon les habitudes de son esprit, le cours de ses idées et l’importance qu’il accorde à la nature de leur objet. Il confondra donc les procédés du seps intiaie et ceux de l’observation physique ; il ne remarquera pas que les mouvements de la sensibilité physique sont aveugles ou excités par la connaissance des choses, et que ceux de la sensibilité morale, toujours éclairés, le sont par la connaissance des personnes ; que l’intelligence a sa nature propre et ses lois tantôt dépendantes du langage, tantôt indépen-