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Page:Envers de la guerre - tome 2-1916-1918.djvu/184

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campagne de haine contre la révolution russe ; de cette « manchette », lue hier : « Pourquoi bolchewick ? Bochewick, simplement. »

— On a supprimé l’absinthe, mais on verse au peuple une mixture autrement toxique, le breuvage de l’optimisme fanfaron, de la bonne nouvelle imperturbable, de la victoire riche et pleine, l’ignorance et l’inexistence des échecs et des pertes, l’ignoble injure à l’ennemi, l’espionnite. Et maintenant il lui faut cette absinthe frelatée, brutale, il en a besoin pour se soutenir, pour vivre. L’absinthe ? Mais c’était un lait de poule, à côté de ce curare !

— Le 9. À midi, paraît un message Wilson, qui pose quatorze conditions de paix. C’est le document le plus important de la guerre. Après 43 mois, un homme s’avise de dire ce qu’on eût du dire le premier jour : il dit les buts. Il est vrai que ces buts ont tellement changé ! Enfin, l’Amérique nous souffle notre rôle. Oh ! la France de 89, qui reste muette ! Cela prouve bien qu’elle est aux mains des gens de poudre, des annexionnistes sournois, des rétrogrades sanguinolents. Nul n’ose plus tenir un langage républicain. Du haut de la tribune française, on ne peut plus parler que dans une trompette, les joues bouffies, les yeux exorbités, lançant des notes de cuivre, des musiques de caserne.

J’écrivais à Anatole France que ces quatorze conditions étaient des personnes séduisantes, qui feraient parler d’elles, que la française était un peu voilée (en effet, la réparation du tort de 1871 ne signifie pas le retour intégral), la polonaise un peu exigeante, et que la russe paraissait la sultane favorite. (Il y a en effet vis-à-vis de la Révolution russe un ton de bienveillance dont le contraste avec le dépit haineux de Clemenceau apparaît tragique, un avertissement à méditer.)