sentant les funestes conséquences de pareils excès, a pris, pour les réprimer, les mesures contenues dans le décret que j’ai l’honneur de vous envoyer, pour vous mettre à portée de prévoir les ordres que vous pourrez recevoir.
« Permettez, messieurs, à celui de vos frères d’armes que vous avez chargé d’exprimer ici votre dévouement pour la constitution et l’ordre public, de présenter à votre zèle et à votre fermeté cette occasion, comme une des plus importantes, pour consolider la liberté qui se fonde sur le respect des lois, et pour amener la tranquillité générale.
C’était terrible d’entendre cela. Quelques jours avant nous aurions tous marché ; mais après la lettre de Chauvel, qui nous représentait Lafayette comme un être plein de faiblesse et de vanité, cet homme, en nous appelant à la guerre contre les soldats patriotes, nous remplit d’indignation. Tous ceux des Baraques criaient :
« C’est une abomination, les soldats ont raison de réclamer leur compte ; les soldats sont nos frères, nos amis et nos enfants ; nous tenons avec eux contre les officiers nobles, qui veulent les dépouiller. »
Cela gagnait partout ; les honnêtes gens n’approuvaient pas cette manière de payer ses dettes. Létumier, levant son chapeau par-dessus la foule, criait :
« Mais écoutez donc le reste… Silence !… Écoutez le décret de l’Assemblée nationale. »
Et malgré la colère qui grandissait, on fit pourtant silence pour entendre lire ce décret, « ordonnant le rassemblement d’une force militare tirée des garnisons et des gardes nationales du département de la Meurthe et des départements voisins, pour agir aux ordres de tel officier général qu’il plairait à Sa Majesté de commettre, à l’effet de réprimer les auteurs de la rébellion, » et puis cette dernière affiche du directoire de la Meurthe, à Nancy : « Vu la réquisition en date du jour d’hier, adressée au directoire du département de la Meurthe, par M. de Bouillé, officier général commandant pour Sa Majesté les troupes de la ci-devant province des Trois-Évêchés, et par elle employé pour l’exécution du décret de l’Assemblée nationale du 16 de ce mois, les officiers municipaux de tous les lieux du département de la Meurthe où se trouvent des gardes nationales armées, requerront les commandants desdites gardes nationales de réunir le plus grand nombre de volontaires possible, et d’en dresser un état, qui sera remis sur-le-champ aux officiers municipaux.
« D’après cet état, les officiers municipaux remettront aux commandants desdits volontaires une somme propre à assurer leu subsistance pendant huit jours, à raison de vingt-quatre sols, cours du royaume, par homme. Chaque homme sera muni de vingt cartouches au moins ; ceux qui ne pourront pas s’en procurer en trouveront à Nancy. Il n’y aura par district qu’un seul drapeau. Les gardes nationaux seront logés sur leur route, ainsi qu’il est d’usage pour les troupes réglées ; à l’effet de quoi aucun citoyen ne pourra se refuser audit logement. La marche sera la plus rapide possible, etc., etc. »
Toute la masse des citoyens écoutait en silence.
Létumier finissait à peine de lire la dernière affiche, que l’administrateur du district, Matheis, de Sarrebourg, un gros homme bourgeonné, l’écharpe tricolore autour des reins, grimpa dans l’étal de l’ancienne gabelle, d’où l’on parlait au peuple, pour engager les patriotes à se montrer. Il répétait mot à mot la lettre de Lafayette, qu’il appelait « l’ami de Washington et le sauveur de la liberté. » Plusieurs criaient déjà : « Vive le roi ! vive Lafayette ! » et le gros Matheis riait d’avance, quand Élof Collin, du milieu de la halle, se mit à lui répondre que les gardes nationales n’étaient pas faites pour combattre nos soldats, mais au contraire pour les soutenir contre nos ennemis ; qu’au lieu d’attaquer Mestre-de-Camp et Château-Vieux, on ferait bien mieux de leur payer ce qu’ils réclamaient avec justice ; qu’on apaiserait ainsi la révolte, et que tout rentrerai dans l’ordre ; mais qu’on voulait mettre la guerre entre l’armée et les citoyens, pour redevenir nos maîtres, et que lui, Collin, engageait tous les hommes de bon sens à ne pas se mêler de cela, que les officiers nobles pouvaient arranger eux-mêmes leurs affaires véreuses, qui ne regardaient pas la nation !
Alors des cris innombrables s’élevèrent pour et contre. Tous les acquéreurs de biens nationaux, maître Jean Leroux, Nicolas Roche, aubergiste à l’Aigle ; Melchior Léonard, ancien garde-marteau de la maîtrise, Louis Masson, directeur de la poste aux chevaux ; Raphaël Mang, préposé aux étapes, qui venait d’entreprendre la fourniture des fourrages de Royal-Guyenne ; le commandant de la garde citoyenne, Gérard ; enfin tous les notables bourgeois de Phalsbourg et des environs tenaient pour Lafayette ; ils avaient aussi la plus grande influence, à cause des gens de tous les métiers qu’ils employaient dans leurs entreprises.
Leur conseil municipal venait déjà de décider que la ville avancerait 1,000 francs pour