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Histoire d’un paysan.

En intérieur, au mur du fond pendent des pièces d’équipement militaire. Autour d’une petite table sur laquelle reposent des bouteilles, deux militaires en uniforme et grande moustache, assis, et Michel, debout. Michel, grand chapeau sur la tête, est debout, main droite appuyée sur la table, main gauche levée, regarde vers le haut.
« Est-il possible qu’un pareil animal soit ton frère. » (Page 134.)

Les enfants couraient derrière nous en troupes, et les femmes nous regardaient en souriant de leurs fenêtres. Ces gens de Lunéville ont toujours été de bons patriotes, cela vient de la garnison.

Je me rappelle que nous fîmes halte sur une petite place carrée, garnie d’arbres touffus, et qu’après avoir mis les armes en faisceaux, maître Jean, Létumier et moi, nous entrâmes dans une belle auberge, au coin de cette place. Nous avions une heure de repos, cela nous réjouissait.

« Eh bien ! criait maître Jean, nous avançons ! »

— Oui, mais il va falloir donner un fameux coup de collier jusqu’à Nancy, répondait Létumier.

— Bah ! le plus rude est fait maintenant, disait maître Jean. Le principal, c’est d’arriver pour dire son mot. »

La place et les rues aux environs fourmillaient de monde ; des bourgeois, des soldats et des gens de toute sorte, hommes et femmes, allaient et venaient ; quelques-uns s’arrêtaient pour nous regarder. Je n’avais jamais vu de presse pareille ; dans l’auberge aussi la foule se pressait ; de grands carabiniers rouges fumaient et buvaient, leurs longues jambes allongées sous les tables , on riait, et dans ce moment nous entendions dire autour de nous que la paix était faite ; que Mestre-de-Camp, Château-Vieux et le régiment du roi mettaient les pouces ; que tout allait se raccommoder et que les meneurs seuls auraient leur compte.