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Histoire d’un paysan.

Que fais-tu là ? (Page 240.)
Que fais-tu là ? (Page 240.)

jours lorsqu’il ne pouvait plus rien retenir et qu’il laissait tout aller sous lui, criait dans son infection :

« Mon Dieu ! comme vous me traitez, après fout ce que j’ai fait pour vous ! »

Ce qui montre bien la stupidité d’un être pareil, qui se figurait que l’Éternel créateur, dont la volonté seule a tiré les mondes de l’abîme, avait besoin d’un vaurien de son espèce pour lui rendre des services ! Qu’il était enfin mort dans la crasse, laissant un déficit énorme, qui, faute d’industrie et d’économie, n’avait fait que grandir sous Louis XV et le régent, et finalement avait forcé Louis XVI de réunir les notables et puis les états généraux, d’où venaient notre révolution, la déclaration des droits de l’homme, l’abolition des privilèges et tous les

bienfaits dont allait jouir le peuple, en même temps que l’abaissement des fainéants et des débauchés, réduits à vivre, comme tout le monde, de leur travail.

Voilà ce que nous dit ce vieux Français.

Mais ce qui me toucha le plus, c’est quand, tout attendri lui-même, il nous raconta l’arrivée des dragons du roi uni soir, chez son grand-père, apportant à la famille l’ordre de se convertir sur-le-champ ; s’établissant dans la vielle ferme ; se couchant avec leurs bottes et leurs éperons dans le lit de l’homme et de la femme ; les dépouillant de tout ; les traîtant à coups de cravache ; empêchant même la mère de donner le sein à son enfant, pour la forcer de renoncer à son Dieu ; enfin les réduisant à ce désespoir terrible de se sauver tous ensemble