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Histoire d’un paysan.

Intérieur sombre. Maître Jean est assis devant la table, sur laquelle des papiers reposent. une femme devant la table tient la lampe et regarde vers la porte, hors champ. Derrière la table une femme tourne le dos à la porte, mal à l’aise et Michel lui fait face, l’air attentif.
Deux grands coups retentirent aux volets. (Page 31.)

sur la porte, qui nous regardait et criait aux autres : « La prêtraille est toujours là ! » Je patientais… Je voulais me plaindre à monseigneur, lorsqu’un de ces drôles est venu nous dire que les audiences de monseigneur étaient renvoyées à huit jours. Le gueux riait. »

En disant cela, M. le curé Christophe, qui tenait son gros bâton de houx, le cassa comme une allumette, et sa figure devint terrible.

« Le pendard aurait mérité des soufflets, dit maître Jean.

— Si nous avions été seuls, répondit le curé, je l’aurais pris aux oreilles, et je l’aurais arrangé ! Mais là, j’ai fait le sacrifice de mon humiliation au Seigneur. »

Alors il se remit à marcher. Nous le plaignions tous, La mère Catherine était allée lui

chercher du pain et du vin, il resta debout pour manger, et tout à coup sa colère s’était calmée. Mais il dit des choses que je n’oublierai jamais ; il dit :

« L’humiliation de la justice est partout. Le peuple fait tout, et les autres ne font rien que des insolences, ils mettent sous leurs pieds toutes les vertus, ils méprisent la religion ! C’est le fils du pauvre qui les défend, c’est le fils du pauvre qui les nourrit ; et c’est encore le fils du pauvre, comme moi, qui prêche le respect de leurs richesses, de leurs dignités et même de leurs scandales ! Jusqu’à quand cela peut-il durer ? Je n’en sais rien, mais cela ne peut pas durer toujours : c’est contraire à la nature, c’est contraire à la volonté de Dieu ; c’est un acte de conscience que de prêcher le

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