« Ah ! Monsieur Furbach, qu’il y a de singuliers contrastes dans le monde, et que le vieux proverbe : « l’habit ne fait pas le moine », a tort ! On a beau déprécier l’argent, comme il vous pose un homme ! Je me rappellerai toujours qu’au moment où j’ouvris ma malle, et qu’en ayant tiré ma cassette je l’ouvris sur la table, le bon vieux Durlach, très prudent de sa nature, et qui jusqu’alors avait un peu douté de la solidité de mon opulence, voyant tout à coup l’or briller, tira très-humblement son bonnet de soie noire et dit d’un air fâché à Fridoline :
« — Allons donc, Fridoline, avance le fauteuil pour M. Nicklause ; tu ne penses jamais à rien ! »
« Et quand je dis au bonhomme que le plus cher de mes vœux était d’obtenir sa petite fille en mariage, lui qui, quelques semaines avant, se serait indigné d’une proposition pareille et m’aurait bien vite montré la porte, il en parut tout attendri :
« — Comment donc, mon cher monsieur Nicklausse, mais certainement, c’est un grand honneur pour nous ! »
« Il y mit pourtant une condition, c’est que je resterais au Schlossgarten, — « ne voulant pas, dit-il, qu’un établissement fondé par son aïeul tombât entre des mains étrangères. »
« Fridoline, assise dans un coin, pleurait tout bas.
« Et quand, m’agenouillant devant elle, je lui demandai :
« — Fridoline, m’aimez-vous ? Fridoline, voulez-vous être ma femme ? »
« C’est à peine si la pauvre enfant put me répondre :
« —Vous savez bien, Nicklausse, que je vous aime ! »
« Ah ! Monsieur Furbach, de pareils souvenirs nous forcent à bénir cet or si méprisable, car lui seul rend possibles de tels bonheurs ! »
Nicklausse se tut et resta longtemps rêveur, le coude sur la table, le front dans sa main. Il semblait voir défiler dans son esprit tous les bons et les mauvais jours écoulés ; une larme tremblotait dans ses yeux. Le vieux libraire, la tête inclinée, se perdait lui-même dans des rêveries qui ne lui étaient point habituelles.
« Mon cher ami, dit-il tout à coup, en se levant, votre histoire est merveilleuse ; mais j’ai beau réfléchir, je n’y comprends rien. Serait-ce un effet magnétique, et la petite croix que vous m’avez fait voir à Munich aurait-elle appartenu à Gontran l’Avare ? Qui sait ? Dans tous les cas, je suis sûr que je vais faire des rêves épouvantables. »
Nicklausse ne répondit pas ; il s’était levé et reconduisit son ancien maître en silence.
La lune bleuissait les hautes fenêtres de la salle, il était près d’une heure du matin.
Le lendemain, M. Furbach, embarqué sur le dampschiff, avait repris la route de Bâle. Il levait la main en signe d’adieu, et Nicklausse lui répondait en agitant son feutre.