Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/206

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« Mon affaire est faite ! mais le grand gueux me l’a payé tout de même. »

Il regardait dans la haie en face, où se trouvait étendu sur le dos un grenadier prussien, la baïonnette encore en travers du ventre.

Il pouvait être alors six heures ; l’ennemi occupait toutes les maisons, les jardins, les vergers, la grande rue et les ruelles. J’avais froid par tout le corps, et je m’étais engourdi, le front sur les genoux, quand le roulement du canon m’éveilla de nouveau. Les deux pièces du jardin et plusieurs autres derrière, placées plus haut dans le village, tiraient en jetant leurs éclairs dans la grande rue, où se pressaient les Prussiens et les Russes. Toutes les fenêtres tiraient aussi.

Mais cela n’était rien en comparaison du feu des Français sur la colline en face. Dans le fond au-dessous, montait la jeune garde en colonnes serrées, au pas de charge, les colonels, les commandants et les généraux à cheval au milieu des baïonnettes, l’épée en l’air : tout cela gris, éclairé de seconde en seconde par la lumière des quatre-vingts pièces que l’Empereur avait fait mettre en une seule batterie pour appuyer le mouvement. Ces quatre-vingts pièces faisaient un fracas terrible, et, malgré la distance, la vieille cassine contre laquelle je m’appuyais en tremblait jusque