Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/350

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la joie que j’éprouvais de tenir dans mes bras celle que j’aimais, cette pensée affreuse ne me quitta pas une seconde, et même aujourd’hui, tout vieux et tout blanc que je suis, elle me revient encore avec amertume… Oui, nous avons vu cela, nous autres vieillards, et il est bon que les jeunes le sachent : nous avons vu l’Allemand, le Russe, le Suédois, l’Espagnol, l’Anglais, maîtres de la France, tenir garnison dans nos villes, prendre dans nos forteresses ce qui leur convenait, insulter nos soldats, changer notre drapeau et se partager non seulement nos conquêtes depuis 1804, mais encore celles de la République : — c’était payer cher dix ans de gloire ! Mais ne parlons pas de ces choses, l’avenir les jugera : il dira qu’après Lutzen et Bautzen, les ennemis offraient de nous laisser la Belgique, une partie de la Hollande, toute la rive gauche du Rhin jusqu’à Bâle, avec la Savoie et le royaume d’Italie, et que l’Empereur a refusé d’accepter ces conditions — qui étaient pourtant très belles — parce qu’il mettait la satisfaction de son orgueil avant le bonheur de la France ! Pour en revenir à mon histoire, quinze jours après la bataille de Hanau, des milliers de charrettes couvertes de blessés et de malades s’