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L’AMI FRITZ.

toire, dont chacun peut faire son profit. Avant d’être des ânes, disait cette histoire, les ânes étaient des chevaux ; ils avaient le jarret solide, la tête petite, les oreilles courtes et du crin à la queue, au lieu d’une touffe de poils. Or, il advint qu’un de ces chevaux, le grand-père de tous les ânes, se trouvant un jour dans l’herbe jusqu’au ventre, se dit à lui-même : « Cette herbe est trop grossière pour moi ; ce qu’il me faut c’est de la fine fleur, tellement délicate qu’aucun autre cheval n’en ait encore goûté de pareille. » Il sortit de ce pâturage, à la recherche de sa fine fleur. Plus loin, il trouva des herbes plus grossières que celles qu’il venait de quitter ; il s’en indigna. Plus loin, au bord d’un marais, il trouva des flèches d’eau et marcha dessus. Puis il fit le tour du marais, entra dans un pays aride, toujours à la recherche de sa fine fleur ; mais il ne trouva même plus de mousse. Il eut faim, il regarda de tous côtés, vit des chardons dans un creux… et les mangea de bon appétit. Alors ses oreilles poussèrent ; il eut une touffe de poils à la queue ; il voulut hennir, et se mit à braire : c’était le premier des ânes ! »

Fritz, au lieu de rire à cette histoire, en fut vexé sans savoir pourquoi.

« Et s’il n’avait pas mangé de chardons ? dit-il.