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Le brigadier Frédéric.

Kern et d’autres gardes avaient passé les Vosges, qu’ils se battaient contre les Allemands du côté de Belfort, et tout de suite l’idée me vint que Jean voudrait aussi partir. J’espérais que Marie-Rose le retiendrait, mais je n’en étais pas sûr. Cette crainte ne me quitta plus.

Chaque matin, pendant que ma fille faisait le ménage et que la grand’mère dévidait son chapelet, je descendais fumer une pipe dans la grande salle, avec le père Ykel. Koffel, Starck et les autres arrivaient prendre leur verre d’eau-de-vie ; on parlait des visites domiciliaires, de la défense de sonner les cloches, de l’arrivée des maîtres d’école allemands, pour remplacer les nôtres, des réquisitions de toute sorte qui augmentaient chaque jour, des malheureux paysans réduits à labourer pour nourrir les Prussiens, et de mille autres abominations, qui vous indignaient contre ces imbéciles de Badois, de Bavarois, de Wurtembergeois en train de se faire massacrer pour le roi Guillaume, et de se battre contre leurs propres intérêts. Le grand Starck, fort dévot et qui ne manquait jamais d’assister à la messe les dimanches, criait qu’ils étaient tous damnés sans miséricorde et que leurs âmes