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Le brigadier Frédéric.

Quand à Jean, pas de lettres, pas de nouvelles !… Qu’était-il devenu ? Cette question, que je me posais souvent à moi-même, me troublait. Je me gardait bien d’en parler à Marie-Rose ; sa pâleur m’avertissait assez que la même pensée la suivait partout.

Nous étions alors en décembre. Depuis quelque temps le canon de Phalsbourg se taisait ; le bruit courait qu’on voyait des flammes s’élever brusquement la nuit des remparts ; on se demandait ce que cela pouvait être. Nous avons appris depuis qu’on brûlait alors les poudres de la place, qu’on brisait le matériel d’artillerie, et qu’on enclouait les pièces, parce que les vivres touchaient à leur fin et qu’on allait être forcé d’ouvrir les portes.

Ce malheur arriva le 13 décembre, après six bombardements et 120 jours de siège. La moitié de la ville était en décombres ; au seul bombardement du 14 août, huit mille cinq cents obus avaient abîmé des rues entières. Les pauvres garçons ramassés à la hâte aux environs et réunis dans la place au temps des grandes chaleurs, n’ayant que leur blouse sur le dos et leurs souliers aux pieds, après avoir passé ce rude hiver