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Le brigadier Frédéric.

de notre forteresse au pouvoir de l’ennemi, je résolus d’aller à Phabbourg chercher un médecin.

Ce jour-là, tout le pays n’était que boue et que nuages. J’allais devant moi, le dos courbé, marchant sur les talus au revers du chemin, l’esprit vide, à force d’avoir rêvé depuis des mois à notre abaissement, et tellement abattu, que j’aurais donné ma vie pour rien.

Sur le plateau de Biegelberg, au sortir de la forêt, voyant à trois kilomètres devant moi la petite ville comme écrasée sous le ciel sombre, ses maisons brûlées, son église affaissée, ses remparts écornés à fleur de terre, Je m’arrêtai quelques instants, les reins appuyés à mon bâton, me rappelant les jours passés.

Que de fois, depuis vingt-cinq ans, j’étais allé là les dimanches et jours de fête, avec ma femme, la pauvre Catherine et ma fille, soit pour assister aux offices, soit pour regarder les baraques de la foire, ou serrer la main de quelques vieux camarades, riant, heureux, pensant que les choses iraient ainsi jusqu’à la fin de nos jours ! Et toutes les joies disparues, les vieux amis qui, dans leurs petits jardins au pied des glacis, nous ap-