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Le brigadier Frédéric.

pour cueillir des groseilles ou foire un bouquet, semblaient revivre, Que de souvenirs me revenaient !… Je ne pouvais me les rappeler tous, et je m’écriais en moi-même :

« Oh ! que ces choses sont loin !… Oh ! qui jamais aurait cru que nous en arriverions à ce malheur, nous Français, nous Alsaciens, de courber le front sous des Prussiens !… »

Ma vue se troublait ; je finis par me remettre en route, murmurant dans mon âme la consolation de tous les malheureux :

« Bah ! la vie est courte… Bientôt, Frédéric, tout sera oublié… Ainsi, prends courage, tu n’as plus longtemps à souffrir. »

Il me semblait aussi entendre la trompette de nos joyeux soldats ; mais à la porte, un piquet d’Allemands en grosses bottes, et leur sentinelle, la jambe tendue, le fusil penché sur l’épaule, le casque sur la nuque, se promenant de long en large devant le corps de garde, me rappelèrent notre position.

Mon vieux camarade Thomé, préposé de la ville aux perceptions de l’octroi, me fit signe d’entrer. Nous causâmes de nos malheurs ; et voyant que je regardais défiler sur le pont une