Page:Erckmann-Chatrian - Le brigadier Frédéric, 1886.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

186
Le brigadier Frédéric.

prussiens qui les faisaient marcher comme des marionnettes.

Tous ces gens avaient de l’argent plein leurs poches, et pour oublier les désagréments de la discipline, ils avalaient autant de saucisses à la choucroute, de jambons et de salades au cervelas, que nos vétérans prenaient autrefois de petits verres d’eau-de-vie. Les uns buvaient de la bière, d’autres du vin de Champagne ou de Bourgogne, chacun selon sa fortune, sans en offrir aux camarades, cela va sans dire ; ils mangeaient tous des deux mains, la bouche ouverte jusqu’aux oreilles et le nez dans leur assiette ; et tout ce que je peux te dire, c’est que par ce temps de boue et de pluie, qui vous empêchait d’ouvrir les fenêtres, on avait besoin quelquefois d’aller respirer dehors.

Je m’étais assis dans un coin, auprès de ma chopine, regardant la fumée de tabac tourbillonner au plafond, les servantes apporter ce qu’on leur demandait, rêvant à la grand’mère malade, aux ruines que je venais de voir, écoutant les Allemands, que je ne comprenais pas, car ils parlaient tous une autre langue que celle de l’Alsace ; et à l’autre bout de la salle, quelques