Page:Erckmann-Chatrian - Le brigadier Frédéric, 1886.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

253
Le brigadier Frédéric.

retourner le couteau ; quand cela saigne, ça fait moins mal.


« Ma bonne Marie-Rose,

« Adieu !… Je ne te verrai plus… un éclat d’obus m’a fracassé la jambe droite… les chirurgiens m’ont fait l’amputation… Je n’y survivrai pas… J’étais resté trop longtemps à terre… J’avais perdu trop de sang… C’est fini… il faut que je meure !… Oh ! Marie-Rose, chère Marie-Rose, que je voudrais te revoir un instant, une minute, que cela me ferait de bien !… Pendant tout le temps que j’étais couché dans la neige, avec ma blessure, je n’ai pensé qu’à toi… Ne m’oublie pas non plus… pense quelquefois à Jean Merlin… Pauvre mère Margrédel… pauvre père Frédéric… pauvre oncle Daniel ! Tu leur diras… Ah ! que nous aurions tous été heureux sans cette guerre… »


La lettre, s’arrêtait en cet endroit. Au bas, comme tu le vois, une autre main avait écrit :


« Jean MERLIN, Alsacien.
« Détachement du 21e corps.
« Silly-le-Guillaume, 26 janvier 1870. »

Tout cela je le vis d’un regard, et puis je recommençai de crier, d’appeler, et je finis par tomber dans le fauteuil, sans forces, me disant que tout était perdu : ma fille, mon gendre, ma patrie… tout !… et qu’il valait mieux aussi mourir.