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Le brigadier Frédéric.

mes yeux la grande émigration de nos frères Alsaciens et Lorrains ; hommes, femmes, enfants, vieillards, par milliers, allant chercher leur pain loin de la terre natale, en Algérie, en Amérique, partout !

Nos pauvres compatriotes me reconnaissent tous à ma figure ; ils disent :

« C’est un des nôtres ! »

Leur vue me soulage aussi, c’est comme un souffle du pays, un bon air qui passe. On se serre la main. Je leur enseigne l’hôtel où l’on est à bon marché ; je leur rends tous les petits services qu’on peut rendre à des amis d’un jour, qui garderont un bon souvenir de celui qui leur a tendu la main. Et le soir, dans ma petite chambre, sous les toits, rêvant à ces choses, je suis encore heureux de n’être pas tout à fait inutile en ce monde ; c’est mon unique consolation, Georges ; quelquefois elle me procure un bon sommeil.

D’autres jours, quand le temps est triste, quand il pleut, qu’il fait froid, ou que j’ai rencontré dans la rue un cercueil de jeune fille, avec la couronne blanche !… alors les idées sombres reprennent le dessus. Je mets mon vieux