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Le brigadier Frédéric.

le temps delà retraite approche ; un de ces jours on va nous fendre l’oreille. »

Il riait toujours. Moi, songeant à cela, je n’étais plus aussi gai.

Alors il me passa le fromage, en disant :

« Et que pensez-vous faire dans deux ans d’ici ? Moi, ma femme veut m’emmener dans son pays de Champagne. Cela m’ennuie beaucoup, je n’aime pas la plaine ; mais vous savez : ce que femme veut, Dieu le veut ! C’est un proverbe, et tous les proverbes ont un air de bon sens extraordinaire.

— Oui, monsieur l’inspecteur, lui répondis-je. C’est même très-ennuyeux des proverbes pareils, car moi je ne pourrai jamais quitter la montagne, l’habitude est trop forte. S’il fallait partir, je n’en aurais pas pour quinze jours ; il ne resterait plus qu’à me jeter la dernière pelletée de terre.

— Sans doute, fit-il, et pourtant les jeunes arrivent, les vieux doivent leur céder la place. »

Malgré les bonnes rasades, j’étais devenu tout muet, songeant à ces choses malheureuses, quand il me dit :

« Dans votre position, père Frédéric, savez-