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Le brigadier Frédéric.

Et, pensant à cela, je me remettais à marcher tout attendri ; je m’écriais :

« Oui, Frédéric, voilà ton sort !… Tu as aimé le beau-père Bruat ; tu l’as soutenu quand il ne pouvait plus rendre aucun service, en considération de la confiance qu’il avait mise en toi, et parce que c’était un brave homme, un vieux serviteur de l’État, très-respectable… Maintenant c’est ton tour d’être aimé et soutenu par ceux qui s’élèvent pleins de jeunesse ; tu seras au milieu d’eux, comme un de ces vieux sapins couverts de mousse blanche. Ah ! les pauvres vieux, ils méritent bien de vivre ; s’ils n’avaient pas poussé droit, on les aurait coupés depuis longtemps, pour en faire des bûches et des fagots. »

Je bénissais l’Éternel, qui ne laisse jamais dépérir les honnêtes gens ; et c’est ainsi que j’arrivai vers sept heures du soir, dans le chemin de la Scierie, au fond de la vallée. Je vis la maison forestière à gauche, près du pont. Ragot aboyait ; Calas ramenait le bétail à l’étable, en criant et claquant du fouet ; la bande des canards, au bord de la rivière, sur le sable, se grattait et s’épluchait autour du cou, sous les ailes et la queue,