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Le brigadier Frédéric.

ne nous ont pas fait de mal… Vous trouvez beau de prendre leur pays et de les rendre Français malgré eux. C’est un jeu, çà… vous trouvez que c’est un jeu !… Voudriez-vous devenir Allemand, vous ? Voudriez-vous obéir aux Prussiens, et mettre de côté votre patrie, pour une autre ? Quel profit aurions-nous d’avoir fait un coup pareil ? Est-ce que cela nous rendrait plus riches, d’arracher l’âme de nos voisins ? Est-ce que cela nous laisserait une bonne conscience ? Eh bien, moi, je ne voudrais pas, pour l’honneur de notre nation, un centime ni un pouce de terre mal acquis. Je ne veux pas croire ce que dit ce monsieur. Si c’est vrai, tant pis ! Quand même nous serions les plus forts aujourd’hui, les Allemands ne penseraient de père en fils qu’à se venger, à rentrer dans leurs droits, à réclamer leur sang. Est-ce que le bon Dieu serait juste de les abandonner ? Il n’y a que des êtres sans cœur et sans religion, capables de le croire ; des joueurs qui se figurent bêtement qu’on gagne toujours. Nous voyons pourtant bien que les joueurs finissent tous sur un fumier.

— Père Frédéric, me dit Merlin, ne soyez pas fâché contre moi. Je n’avais jamais pensé à