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Le brigadier Frédéric.

culture de notre bien ; et que les semaines, les mois et les années se passaient dans la tranquillité comme un seul jour… Si dans ce temps-là quelqu’un était venu me dire : — « Tenez, brigadier Frédéric» voyez cette grande vallée d’Alsace jusqu’aux rives du Rhin : ces centaines de villages entourés de récoltes en tous genres, tabac, houblon, garance, chanvre, lin, blé, orge, avoine, où passe le vent comme sur la mer ; ces hautes cheminées de fabriques qui fument dans tes airs ; ces moulins et ces scieries ; ces coteaux chargés de vignes ; ces grands bois de hêtres et de sapins, les plus beaux de France pour les constructions de marine ; ces vieux châteaux en ruines depuis des siècles à la cime des montagnes ; ces forteresses de Neuf-Brisach, de Schlestadt, de Phalsbourg, de Bitche, qui défendent les défilés des Vosges… Regardez, brigadier, aussi loin que les yeux d’un homme peuvent s’étendre, des lignes de Wissembourg à Belfort, eh bien, tout cela dans quelques années sera aux Prussiens ; ils seront maîtres de tout ; ils auront garnison partout ; ils lèveront des impôts ; ils enverront des percepteurs, des contrôleurs, des forestiers, des maîtres d’école