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Le brigadier Frédéric.

dans tous tes villages ! Et les gens du pays courberont les reins ; ils feront l’exercice dans les rangs allemands, commandés par des feldwèbel[1] de l’empereur Guillaume !… » — Si quelqu’un m’avait dit çà, j’aurais cru que cet homme était fou, et même, dans mon indignation, j’aurais été capable de lui passer un revers de main par la figure.

Il n’aurait pourtant dit que la vérité, et même il n’en aurait pas dit assez, car nous avons vu bien d’autres choses ; et la plus terrible de toutes pour moi, qui n’avais jamais quitté la montagne, c’est encore de me voir à mon âge, dans cette mansarde d’où l’on ne découvre que des tuiles et des cheminées, seul, abandonné du ciel et de la terre, et rêvant jour et nuit à cette histoire épouvantable.

Oui, Georges, le plus terrible c’est de rêver !

Les renards et les loups auxquels on casse une patte, se lèchent et guérissent ; les chevreuils que l’on blesse, meurent de suite, ou bien se couchent dans un hallier et finissent par en revenir ; et quand on enlève aux chiennes

  1. Sergent.