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Le brigadier Frédéric.

dit que c’est inutile de faire des abatis et de défoncer les routes !… Il veut donc que l’ennemi avance, qu’il passe les défilés !… »

Et je marchais.

La nuit était noire lorsque je rentrai à la maison. Marie-Rose m’attendait, assise près de la table ; elle m’observait d’un œil inquiet et semblait me demander : « Qu’est-ce qui se passe ? Quels ordres avons-nous ? »

Mais je ne dis rien, et jetant mon caban tout ruisselant de pluie au dos d’une chaise, secouant ma casquette, je m’écriai :

« Va te coucher» Marie-Rose, nous ne serons pas troublés cette nuit ; va dormir tranquillement : le général de Bitche ne veut pas qu’on se remue. La bataille est perdue, mais nous en aurons une seconde en Alsace, à Saverne, ou plus loin, les chemins doivent rester libres, nous n’avons pas besoin de bouger, les chemins seront bien gardés. »

Je ne sais pas ce qu’elle en pensait ; mais, au bout d’un instant, voyant que je ne m’asseyais pas, elle dit :

« J’ai gardé ta soupe près du feu, elle est encore chaude, si tu veux manger, mon père ?