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Le brigadier Frédéric.

Environ quinze jours après l’établissement de Bismarck-Bohlen à Haguenau, un matin, nous vîmes arriver du fond de la vallée, une voiture semblable à celles de ces Allemands qui partaient pour l’Amérique, avant l’invention des chemins de fer, une longue voiture chargée de mille vieilleries : paillasses, dévidoirs, bois de lit, casseroles, lanternes, que sais-je ? avec le chien crotté, la femme mal peignée, la nichée d’enfants morveux et le monsieur conduisant lui-même sa haridelle par la bride.

Nous regardions tout étonnés, pensant :

« Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que ces gens viennent faire chez nous ? »

Sous la bâche, près du timon, la femme déjà vieille, jaune et ridée, le bonnet de travers, épluchait la tignasse de ses enfants, qui fourmillaient dans la paille, des garçons et des filles, tous blond-filasse, joufflus et ventrus comme des mangeurs de pommes de terre.

« Wilhelm, veux-tu rester tranquille, disait-elle. Attends, que je regarde bien ! attends, je vois quelque chose ; c’est bon, je le tiens… tu peux te rouler maintenant ! Wîlhelmine, mets ta