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Le brigadier Frédéric.

tobre, bien avant le traité de paix, arrivaient tranquillement occuper la place des nôtres, en leur disant sans cérémonie :

« Ôte-toi de là, que je m’y mette ! »

On aurait dit que c’était entendu d’avance, car il en arriva même avant la reddition de Strasbourg. Combien de paniers percés, de sacs à bière, de buveurs de schnaps[1], tirant le diable par la queue depuis des années et des années dans toutes les petites villes de la Poméranie, du Brandebourg et de plus loin, qui ne seraient jamais rien devenus chez eux et ne savaient plus à qui demander du crédit, combien de ces gens-là sont tombés alors sur la « riche Alsace, » ce paradis terrestre promis aux Allemands par leurs rois, leurs professeurs, et leurs maîtres d’école !

Au temps dont je te parle, ils étaient encore modestes, malgré les victoires singulières de leurs armées : ils n’étaient pas encore sûrs de conserver cette chance extraordinaire jusqu’à la fin ; en comparant leurs vieux habits râpés et

  1. Eau-de-vie.