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Le brigadier Frédéric.

leur air minable, à l’aisance des moindres fonctionnaires de l’Alsace et de la Lorraine, ils se disaient sans doute intérieurement :

« Ça n’est pas possible que le seigneur Dieu ait choisi des gaillards de notre espace, pour remplir d’aussi bonnes places. Quel mérite extraordinaire avons-nous donc, pour jouer le premier rôle dans un pays pareil, que les Français ont cultivé, planté, enrichi d’usines, de fabriques, d’exploitations de toute sorte… Pourvu qu’ils ne viennent pas le reprendre et nous forcer de retourner à notre schnaps ! »

Oui, Georges, avec un peu de bon sens et de justice, ces intrus devaient se tenir ce raisonnement ; une sorte d’inquiétude se reconnaissait dans leurs yeux et dans leur sourire. Mais une fois Strasbourg rendu, Metz livré, eux commodément installés dans les grandes et belles maisons qu’ils n’avaient pas bâties, couchés dans les bons lits des préfets, des sous-préfets, des juges et d’autres personnages, dont ils ne s’étaient jamais fait même une idée ; après avoir levé les impôts sur les bonnes terres qu’ils n’avaient pas ensemencées, et mis la main sur les registres de toutes les administrations qu’ils