Page:Ernest-Charles - Le Théâtre des poètes, SLA.djvu/96

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Mais Leconte de Lisle apportait à l’explication du crime des Atrides une psychologie moins rudimenlaire. Il avait découvert la loi de l’hérédité et il était enchanté de sa découverte et de l’application qu’il en faisait. Des mots ! Des mots ! Il est vrai que la poésie recouvre tout et que finalement on ne distingue guère l’hérédité de la fatalité… Leconte de Lisle, du moins, en sa pensée, dénaturait systématiquement Eschyle ; sans doute parce qu’il ne le comprenait guère.

Eschyle admettait une sorte d’hérédité des crimes : et cette hérédité n’était que le châtiment du crime d’un ancêtre, châtiment infligé avec ténacité par les dieux vengeurs. Les Atrides, maudits des dieux, étaient donc voués à l’assassinat comme d’autres sont voués à la souffrance et au malheur ! Les dieux intervenaient eux-mêmes pour que l’effet de leur malédiction s’accomplît entièrement. Ils exaltèrent Électre et Oreste dans leurs sentiments de vengeance. Et n’était-ce pas l’oracle d’Apollon qui ordonnait à Oreste de tuer sa mère… Ainsi se révélait donc obstinément, irrésistiblement cette fatalité à laquelle n’échappent pas les mortels qu’a marqués le destin. Et tous les personnages, quels qu’ils soient, ont foi en la fatalité. Ils savent que sa puissance est d’autant plus terrible qu’elle est plus mystérieuse, et que, préétablie, supérieure, elle détermine les actions humaines. Telle est la conception d’Eschyle. Elle est essentiellement religieuse. Comment peut-on transformer la fatalité des actes et des infortunes en hérédité des instincts et des tares ?

Tout chargé, cependant, de sa conception à demi scientifique, Leconte de Lisle était en même temps soucieux de nous communiquer l’impression de la sauvagerie farouche des Grecs primitifs. Mais, pour cela, il