Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/195

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merci de plus fortuné que lui ; il ne donne à la société qu’un ordre basé sur l’aubaine et l’épargne, les plus homicides des désordres. Aussi l’Europe civilisée déborde chaque jour par dessus ses frontières, et chaque jour l’Océan emporte vers les mondes nouveaux, vers l’Amérique et l’Australie, les flots fangeux de nos populations décrépites.

Une nation en décadence peut, de même qu’un vieillard, s’accommoder d’une moitié d’existence. Elle emploie la plus grande partie de sa vie à raconter son glorieux passé, à se plaindre de son triste présent, à désespérer d’un avenir qui n’est pas fait pour elle, et à persécuter ceux qui y tendent de tous les efforts, de même que les vieillards s’élèvent contre les aspirations des hommes jeunes. Par instants, cependant, il lui prend des retours de vigueur, des ressouvenirs. Alors, piquée d’honneur, elle cherche à se soulever, elle reste debout trois jours ; et puis, consumée, épuisée, elle retombe. Et de nouveau, l’Injustice et la Tyrannie l’enchaînent sur son grabat sanglant !

Mais l’heure de la mort vient enfin, horrible, inéluctable. Au cadran éternel, l’inflexible airain l’a sonnée. C’est alors que l’orgueil humain succombe sous l’éternelle et toujours victorieuse ennemie, la Fatalité ! Alors la société contemple avec désespoir ses bras ridés, sa vue faible, son intelligence en enfance, son existence caduque. Les battements de son cœur s’éteignent ; elle se dissout.

Alors, délirante, pressée par la frayeur du néant, elle avoue sa propre décadence et émet de grandes idées sur la régénération humaine. Au milieu des divagations de l’agonie, elle laisse échapper des éclairs qu’illuminent les plus lointains horizons. La voilà prise de divination ; des prophéties sublimes s’échappent de sa poitrine oppressée. Les nations jeunes se pressent autour d’elle pour recueil-