Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/23

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dire une pensée qui me vient. Je veux la dire parce que je ne crois pas à l’humilité, parce que je n’aime pas ceux qui font semblant d’y croire, et que je suis convaincu qu’il n’est pas un écrivain, pour jésuite ou démophile qu’il soit, qui jamais ait pris la plume sans se recommander à la Renommée. En l’an de grâce 1854, il est encore permis de penser bien de soi, mais heureux celui qui est assez vaniteux pour n’en rien dire !

Je dirai donc qu’il m’est pénible de développer à nouveau une opinion qui était exclusivement mienne, maintenant que les limaçons de la presse ont déposé sur elle leur traînée repoussante d’interminable phraséologie, d’hypothèses vulgaires, de patriotisme stipendié et d’ardeurs à tant la ligne. Oui, quand la haine siffleuse et le dédain sournois me poursuivaient, j’écrivais avec plus de passion, sur le rôle révolutionnaire de la Russie, qu’aujourd’hui. Car la pensée d’un homme c’est la toute jeune vierge qu’il élève et respecte, et qu’il ne reconnaît plus quand elle a été flétrie par un priapisme vénal, avant d’être devenue belle et forte, comme il l’avait rêvée. À l’homme infiniment affectueux dont on a ravi la bien-aimée, au père dont on a violé la fille, à l’auteur artiste, je n’ai donc pas besoin de dire ce qu’il m’en coûte pour reprendre cette question de Russie sur laquelle se vautre maintenant la grande prostitution politique.

D’autres craindraient de laisser soupçonner ce sentiment intime et voudraient cacher la démangeaison de leur personnalité sous quelque beau prétexte de dévouement. Eh ! pourquoi donc mentirais-je ? Si j’éprouve ce sentiment d’amour-propre, c’est qu’il est naturel à l’homme de s’attacher à son travail et d’en réclamer les fruits, louanges ou injures ; c’est qu’il y a des injures qui honorent.


VIII.   Si c’est là de l’orgueil, je ne m’en défends pas.