Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/229

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Paris, sans emploi. Sa femme et ses enfants restés à Roye souffrent de la faim. Ses créanciers, peut-être à l’instigation de ses ennemis, peut-être simplement parce qu’ils sont eux-mêmes besoigneux, boulanger, boucher, aubergiste, poursuivent la pauvre femme et vont la contraindre à leur abandonner son mobilier. Chétive proie. L’inventaire en est navrant. Babeuf est découragé un instant et près de s’avouer vaincu ; mais il compte sur la solidarité du personnel révolutionnaire : « Si mon innocence éclate, si je sauve mon honneur…, écrit-il à sa femme en février 1793, je crois qu’il sera de la prudence de ne pas montrer une plus longue opiniâtreté auprès de mes ennemis. » Il donnera sa démission (d’administrateur), quoi qu’il arrive. « Ah ! les malheureux ! Ils m’accusent… d’avoir trahi mes devoirs pour de l’argent. Qu’ils viennent voir leur ouvrage ! Mes enfants qui pleurent parce qu’ils n’ont pas de pain ! Ma chère amie, tâche pourtant de les empêcher de mourir, encore pendant quelques jours. Le citoyen Fournier[1] m’a procuré un petit travail ; je dois recevoir quelque

  1. Voir l’Introduction de M. Aulard aux Mémoires secrets de Fournier l’Américain (Société de l’Histoire de la Révolution française, Paris, 1890). Pour M. Aulard, Fournier est un condottiere de la Révolution, qui « n’a d’autre idéal que de commander à une troupe armée et de remplir sa bourse. » Il revenait de Saint-Domingue, où il prétendait avoir été dépouillé de biens considérables. L’affàire était des plus louches. Dans une relation de la prise de la Bastille, Fournier nomme parmi ceux qui s’étaient arrogé avec lui un commandement, un certain Le Peletier de l’Epine ; il est difficile en lisant ce nom de ne pas penser à Babeuf. Babeuf, dit Advielle, volume I, page 506, se trouva avec Fournier à la prise de la Bastille. Les Mémoires de Fournier nous montrent (chapitre xi) qu’il avait, lui aussi, dès 1791, ses projets de réforme sociale. Il voulait établir un « cercle d’éducation, » qui eût été à la fois une école militaire et un atelier de fabrication d’armes et de fournitures diverses pour les armées ; les frais en eussent été couverts par des dons demandés aux riches et par les bénéfices de l’entreprise. « Le tout réunissait le soulagement des peuples, pour lesquels on n’a encore rien fait. » C’est la première idée de l’Ecole de Mars et du Phalanstère scolaire dont nous avons parlé, page 171.